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Meltem (2018)
de Basile Doganis
publié le mercredi 13 mars 2019

par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 13 mars 2019


 


Dans ce premier long métrage solaire, Basile Doganis (1) alterne la gravité et la légèreté ; l’intrigue au rythme du farniente estival, scandé d’embardées, tresse les motifs de la perte, de l’exil, et du lien diaspora-identité.

Elena (Daphné Patakia) revient à Lesbos, où son beau-père Manos (Akis Sakellariou) l’attend. Il la voit, surpris, débarquer accompagnée de Sekou et de Nassim, deux copains de l’école d’hôtellerie. Elle l’esquive et refuse de parler grec.
Eux rêvent de vacances et s’aperçoivent qu’ils jouent le rôle de tampon. Ils ignorent qu’ils amortissent la détresse du retour dans la maison où plane le fantôme de Sophia, la mère. Dans les chambres, entre ombre et soleil, se lisent toutes les traces d’une enfance heureuse, qu’elle a laissée aux oubliettes, animée par le ressentiment envers Manos, lié au souvenir de sa mère.


 

Aussi imprévisible que le meltem, ce vent égéen, elle s’identifie au second prénom turc, Meltem, que sa mère lui a donné en mémoire de l’arrière-grand-mère. Sekou, dans le registre comique, et l’ombrageux Nassim s’éparpillent dans le sillage de l’explosive Elena comme des meules de paille derrière une tornade.


 

La rencontre de Elyas (2) sur la plage leur fait découvrir progressivement sa douloureuse condition de réfugié syrien à la recherche de sa mère. Sa présence déstabilise Nassim, doublement empêtré dans son rôle d’amoureux transi et dans ses contradictions. Elyas s’insurge quand Nassim lui suggère l’Algérie - qu’il fantasme - ou "un pays pieux" comme terre d’accueil. Aider le jeune Syrien mobilise son énergie et fait diversion à son mal-être.


 


 

Un rêve revient, où nageant dans les profondeurs marines, elle exprime la quête éperdue de sa mère. La patiente sollicitude de Manos, dont elle sait qu’elle lui donne du fil à retordre, l’amène à retisser les liens de son histoire grecque et à constater que "on s’embrouille de mère en fille depuis la nuit des temps dans cette famille."


 

Les plans du trio formés dans la précipitation pour sortir Elyas de l’île tournent mal. La séquence au commissariat les met à l’épreuve de la réalité. Les forces de police, avec l’aval de leurs autorités, répondent à l’afflux des migrants par la répression. Sans sa carte d’identité (qu’il a donnée à Elyas), Nassim s’expose à n’être qu’un migrant, un apatride.


 

"Telle une feuille de platane, au beau milieu de la haute mer" (3), Lesbos a vu se déverser sur ses rivages des milliers de réfugiés grecs de l’Asie Mineure : la "Catastrophe" (4) de 1922, qui amena Meltem, quand elle avait 14 ans, à Mitylène, est un prélude à la tragédie des Syriens et des Afghans en 2015. La communication de Manos, lors d’un colloque, est illustrée d’une photo de gilets de sauvetage qui évoque le court métrage de Yorgos Zois, Eighth Continent. (5)


 

Basile Doganis donne chair à leurs destinées. Il a fait appel aux réfugiés de l’île, qui apparaissent dans de nombreux plans. Lorsque Elena va se recueillir sur la tombe de Meltem, elle devient spectatrice d’un enterrement mis en scène comme un chœur tragique. Le film s’achève, en écho, sur la messe du souvenir selon le rituel orthodoxe (6) à la mémoire de Sophia et Elyas.


 

Dans ce film d’apprentissage, la question des origines réelles et fantasmées, fondatrices du moi intérieur et social, s’éparpille entre Elena et les gars de la cité qui renvoient au thème de prédilection de Doganis dans ses premiers courts métrages.
On aime l’apparition de Féodor Atkine en ornithologue anglais, au-delà de son rôle moteur dans le récit.

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Basile Doganis a réalisé deux courts, Le Gardien de son frère (2012) avec Lamine Sissoko et Journée d’appel (2014) avec Rabah Naït Ouffella.

2. Karam al-Kafri est un Palestinien du camp de Yarmouk à Damas. Aurélie Charon relate son parcours : "À Lesbos, exils en miroir" in Libération du 5 décembre 2017.

3. Le poète Odysséas Élytis (1911-1996) a reçu le prix Nobel de littérature en 1979.

4. L’armée grecque royaliste, partie à la reconquête de l’Asie mineure en 1921, a été défaite par les troupes de Kemal Atatürk. Smyrne mise à feu et à sang, la population civile s’est enfuie par la mer sans aucun secours des navires des forces alliées qui mouillaient dans le port. La Grèce dut accueillir un million de réfugiés.

5. Eighth Continent de Yorgos Zois (2017). Yorgos Zois filme en 11 minutes, sans commentaire, les monceaux de gilets de sauvetage et nous confronte à la fuite massive de populations, traces des existences condamnées à l’exil ou à la mort.

6. "μνημόσυνο" = mémorial, commémoration, messe de souvenir.


Meltem. Réal, sc : Basile Doganis ; ph : Konstantinos Koukoulios ; mont : Riwanon Le Beller ; mu : Kyriakos Kalaitzidis. Int : Daphné Patakia, Rabah Naït Ouffela, Lamine Cissokho, Karam Al Kafri, Akis Sakellariou, Féodor Atkine (France-Grèce, 2018, 87 mn).



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