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M (2018)
de Yolande Zauberman
publié le mercredi 20 mars 2019

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection du Festival du film de Locarno 2018.
Prix spécial du Jury

Sortie le mercredi 19 mars 2019


 


M est le diminutif de Menahem, en français "consolateur". (1)
M est cantor. Il chante à perdre le souffle et s’enivre de sa voix qui résonne comme un cri. Tout au long du film, son chant est fragmenté de sa confession sur les sévices sexuels qui lui furent infligés par un rabbin de la communauté quand il était enfant. Il habitait alors dans la banlieue nord-est de Tel-Aviv, à Bnei Brak, sa ville natale, capitale des juifs ultra-orthodoxes.


 

Yolande Zauberman filme en caméra subjective M et quelques autres, elle s’approche au plus près de chacun d’eux, saisit la respiration des mots, capture le regard, touche le corps qui parle, "violant" pour ainsi dire, la distance de l’intime pour en exorciser le mal.

Et chacun de ces "enfants blessés", ainsi nommés par la réalisatrice, se souvient et prend part à la libération de la parole ; on entend parler hébreu, parfois yiddish… Chacun est filmé dehors, sur le fond noir de la nuit et les voix mêlées aux chants, plus beaux les uns que les autres, emplis d’élan de vie, martèlent comme un refrain, l’appréhension redoutée du Galgal, "le cercle vicieux" qui pousse à violer quand on a soi-même été violé.


 


 

Le choix de la cinéaste de filmer dans la nuit ajoute à la parole une dimension sacrée qui devient universelle.
Ce dispositif produit des images d’une beauté stupéfiante, gros plans de visages sortis de l’obscur, à l’instar des portraits peints par Rembrandt, tel celui, barbu, du père de Menahem, cadré serré par l’objectif. Elle filme le groupe comme un seul corps vibrant, dansant, priant et chantant.


 


 

Le film évoque la souffrance silencieuse de ces enfants devenus adultes, la voix brisée des pères. Il implore l’apaisement et le pardon, et chante ces malheurs, mais il accuse de crimes pédophiles des rabbins ultra-orthodoxes.


 

Citant Kafka, elle en appelle au couteau pour agresser ou protéger et déclare "mon film est mon couteau". Belle métaphore et réussite indéniable d’un projet cinématographique d’une force spirituelle et esthétique rare, dédié aux "enfants blessés" du monde, de toutes les communautés religieuses ou laïques et à tous ceux, religieux ou non, qui souffrent d’avoir été violés et/ou d’avoir violé.


 

La dimension documentaire dépasse de loin la simple information, elle cherche à approfondir la vérité des faits et les aveux des auteurs sans jamais en dévoiler les pratiques, ni par les mots, ni par les images. Qualité rare qui renforce le film dans sa singularité et son exigence et qui laisse sans voix, tant celles entendues, dites ou chantées, imposent le silence.

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Ne pas confondre avec M de Joseph Losey (1951), remake de M le maudit (M - Eine Stadt sucht einen Mörder) de Fritz Lang (1931). Ni avec M de Sara Forestier (2017).


M. Réal, sc : Yolande Zauberman ; mont : Raphaël Lefèvre. Int : Menahem Lang (France, 2018, 105 mn). Documentaire.



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