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Météorites (les) (2018)
de Romain Laguna
publié le mercredi 8 mai 2019

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle du Festival international de Saint-Sébastien 2018

Sortie le mercredi 8 mai 2019


 


Nina a 16 ans, l’âge statistique occidental des premières amours - qui varie peu depuis des décennies -, celles dont il est d’usage de proclamer qu’elles sont inoubliables. Cette Nina-là n’est pas "une mouette" tchékhovienne, elle est déjà forte, insolente et indépendante, lâche l’école et travaille l’été dans un parc d’attraction.


 


 

Elle va tomber amoureuse, évidemment, du plus mauvais sujet de sa bande de collègues, il va la quitter, et ce sera son initiation. "Les garçons sont comme ça, ils disparaissent" lui dit son amie.


 


 

Le sujet du film pourrait se réduire à cette histoire, classique, qui appartient à un quasi-genre, les amours adolescentes. Quand on connaît les courts métrages de Romain Laguna, on ne serait pas surpris, ce serait une continuité (1). Il semble, cependant, qu’il y ait eu un bond qualitatif, dans sa vision du monde.
C’est, certes, un premier long métrage qui parle d’un premier amour, avec des jeunes de la région, non-professionnels, qui n’avaient encore jamais servi. Romain Laguna le dit lui-même, il tenait à saisir la grâce de cette fameuse "première fois" aux vertus si volatiles.


 

Mais le vrai sujet de ce film différent est tout autre, et, à travers le portrait attachant d’une ado singulière, son propos, plus vaste, est de raconter, à la fois, la brutalité et la lenteur des commencements.
La 1ère image, et peut-être le personnage principal, c’est le paysage sauvage, la montagne, les arbres, les gorges, le vent. Ensuite seulement arrive Nina, qui le regarde (et le voit), qui l’écoute (et l’entend).


 


 

Le vrai couple, primordial - le vivant (une femme, des fleurs) et le "minéral" (la Terre, le Ciel) - peut alors jouer avec tous les autres éléments, tous subsidiaires et décoratifs : l’amoureux, l’amie, les copains, les scooters, le bel été, les feux de joie nocturnes, les attractions, les maquettes et les documentaires pédagogiques...


 

Le projet de film s’appelait Les Reptiles. "Au commencement" était le cerveau reptilien (400 millions d’années), il faut bien partir de quelque part.
Dans son parc d’attraction, Nina apprend les mouvements divers d’une ère lointaine, par exemple la disparition des dinosaures (2) en même temps que la moitié des espèces de l’époque, à la faveur d’une catastrophe naturelle, la chute d’une météorite. Aussi, quand elle-même en voit une s’écraser derrière sa montagne, après avoir d’abord cru que c’était la fin, et quand elle découvre qu’elle est la seule à l’avoir vue, la jeune fille, marquée et solitaire, ne peut qu’entrer, de plain-pied dans le monde magique du hasard objectif. Ici et maintenant, dans le film accompli, est advenu un nouveau big bang, la rencontre improbable d’une météorite qui passait et d’une créature qui croyait aux signes.


 


 

Le coup de foudre engendré par l’événement - un amour, un petit feu d’amadou - n’est rien que le catalyseur d’une union plus démesurée, avec l’univers, ce fameux "sentiment océanique" auquel seuls les mystiques et les poètes ont accès, les seuls qui trouvent du sens là où règne l’absurde.


 

C’est les pieds nus que Nina va s’immerger dans la contemplation des brûlures laissées par la grosse poussière d’étoile, la couche terrestre de la planète marquée comme sa peau humaine à elle, minuscule partie d’un grand tout.


 

Il ne s’agit pas (seulement) d’un premier amour, ni d’une initiation à un futur parcours de vie. Même si les images réalistes et le titre définitif du film le dissimulent - comme une pudeur, la métaphysique, c’est emphatique et démodé -, il s’agit, face à la prochaine extinction qui arrive, d’une nouvelle et première femme et d’une communion avec cette Nature en péril.
Il s’agit d’une genèse.

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Des courts d’un jeune - Romain Laguna est né en 1986 - sur des jeunes : les errances de Erwan, Magid et Clément après la manif dans À trois sur Marianne (2012), les vagabondage de Cédric dans Run (2013), la solitude de Mourad dans Bye Bye mélancolie (2014), l’embrouille de rappeurs dans J’mange froid (2017).

2. Dans la division des temps géologiques, les ères ont changé de noms dans le langage courant : le Paléozoïque (le Primaire), le Mésozoïque (le Secondaire), le Cénozoïque (le Tertiaire). Les ères sont subdivisées en périodes. Nous appartenions à l’Holocène jusqu’à ce que, à la fin du 20e siècle, Paul Josef Crutzen et Eugene Stoermer constatant les effets visibles et durables de l’intervention humaine sur la couche terrestre et sur le climat, proposent une nouvelle période : l’Anthropocène. La notion et le terme sont encore discutés par la communauté scientifique et par les politiques. Cf. la rubrique Anthropocène de Jeune Cinéma.
Des extinctions de masse, il y en aurait eu cinq : deux au Paléozoïque, deux au Mésozoïque, et une au Cénozoïque, celle qui semble avoir débuté de nos jours en serait la deuxième.
Les dinosaures ont vécu au cours du Mésozoïque, et il semble établi qu’ils ont disparu, il y a 65 millions d’années, à la suite d’un bouleversement terrestre dû à l’impact d’une grosse météorite.


Les Météorites. Réal : Romain Laguna ; sc : R.L., Lucas Delangle & Salvatore Lista ; ph : Aurélien Marra ; mont : Héloïse Pelloquet ; mu : Maxence Dussère. Int : Zéa Duprez, Billal Agab, Oumaima Lyamouri, Nathan Le Graciet (France, 2018, 90 mn).



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