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Être vivant et le savoir (2019)
de Alain Cavalier
publié le jeudi 6 juin 2019

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°395, été 2019

Sélection officielle hors compétition du Festival de Cannes 2019

Sortie mercredi 5 juin 2019


 


Hors compétition le dernier film de Alain Cavalier.
Hors catégories surtout et certainement pas documentaire comme on peut le lire parfois.

Une nouvelle fois et peut-être encore plus que jamais, Alain Cavalier, absent à l’image (sauf accidentellement en reflet), occupe cependant pleinement le champ de son film. C’est par la voix qu’il écrit son scénario, une voix qui module sa pensée avec les accents de l’âge, mais toujours la précision, la liberté, la poésie. Il s’agit donc d’un film qui sollicite l’écoute attentive, et parfois la lecture, d’une réflexion intime sur la vie et la mort.


 

À travers le projet avorté d’un film à partir du livre de Emmanuèle Bernheim, Tout s’est bien passé, Alain Cavalier se confronte à ce qu’aurait dû être ce projet avec une amie de toujours. Il aurait été le père de celle-ci, parti en Suisse pour une mort assistée et choisie. (1)
Et entre temps, c’est un cancer qui emporte l’écrivaine, laissant le cinéaste face à un vide, face aussi à l’impérieuse nécessité de le combler par les moyens qui sont les siens, à savoir le cinéma. Se pose alors à lui la question de savoir quoi filmer. Quelles images associer à son flux de pensée, formulé dans une parole en continu ?


 

Pour un cinéaste depuis longtemps volontairement restreint à des moyens élémentaires, c’est donc dans la composition formelle (et surtout pas formaliste) qu’il faut trouver une voie.
Du côté de la nature morte peut-être. Comme cette image d’un Manet (un vase de fleurs) posé sur son bureau. Comme ces compositions de butternuts, ce crucifix désarticulé, cette panoplie d’objets du quotidien.


 

Un arte povera qui offre au spectateur un point de fixation visuel propre à une méditation en écho de la voix de Cavalier. Image et son développent de ce fait un étrange jeu de reflets, faits non de correspondances directes mais de possibles, d’autant de vibrations qu’il y a de spectateurs. Gageons que chaque vision du film apporterait une émotion différente.


 

L’émotion provient bien sûr du sujet qu’affronte le cinéaste.
Dans le souvenir contenu dans la petite photographie de Emmanuèle Bernheim, délicatement tenue entre ses doigts, il y a pour lui la fragilité de sa propre existence. Vécue non comme la peur d’une mort de toute façon annoncée, mais comme un tâtonnement. Comme ces corrections de lumière, de cadrage qu’il garde à l’image, témoins d’un désir de trouver le juste équilibre qui donne à la nature morte sa vie intérieure.


 

Comme ce moment de lecture d’un extrait manuscrit du scénario non tourné, offert dans la calligraphie épurée de AlainCavalier. Tournant la page, tout en gardant le texte à l’image, il lit le texte avec nous, donnant à travers son découpage vocal une coloration émue au dialogue avec la figure disparue, et pourtant si présente.
Dans de tels moments, on aborde des rivages qu’il est sans doute le seul à explorer. Hors catégories.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°395, été 2019

1. Emmanuèle Bernheim (1955-2017).


Être vivant et le savoir. Réal, sc, ph : Alain Cavalier ; mont : Françoise Widhoff. Int : Emmanuèle Bernheim, Alain Cavalier (France, 2019, 82 mn).



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