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On va tout péter (2019)
de Lech Kowalski
publié le mardi 8 octobre 2019

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°395, été 2019

Sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2019

Sortie le mercredi 9 octobre 2019


 


Il y a 52 ans, Chris Marker tournait À bientôt j’espère, document sur la grève de la Rhodiaceta, qui inaugurait le modèle des films militants de mai 68. (1) Depuis, les documentaires n’ont pas cessé de rendre compte de la lutte des salariés pour conserver leur emploi, qu’ils travaillent dans la métallurgie, le textile, la chimie ou l’équipement automobile, comme c’est le cas de l’usine GM&S, à La Souterraine, dans la Creuse, département dont le bassin d’emploi n’est déjà pas large.


 

Lutte vaine, la plupart du temps, le facteur humain ("l’homme, le capital le plus précieux", comme disait Joseph Djougachvili) ne pesant que peu de poids face aux dividendes des actionnaires. Présidents et ministres peuvent venir assurer, de Florange à Belfort, que l’État fera tout pour que l’avenir demeure radieux, ce n’est là qu’un théâtre d’ombres.


 

"On va tout péter", l’avertissement ne date pas d’hier.
Déjà en 2014, à Revin (Ardennes), les salariés d’Électrolux avaient promis de tout faire sauter - promesses jamais tenues depuis 1810 et les destructions de machines par les partisans de John Ludd. (2)


 

La lutte des employés de GM&S, est de l’ordre du combat déséquilibré contre un patronat forcément vainqueur - leur seule victoire : limiter à 137 (sur 250) le nombre d’ouvriers remerciés. L’affaire a fait quelques titres l’an dernier, d’autres feront de prochains titres, c’est la loi du marché, et on a bien vu, avec les deux films de Stéphane Brizé, que la guerre se terminait mal. (3)


 

Le réalisateur a suivi de très près tout l’affrontement, dans l’usine, à Paris, dans les autres lieux du groupe PSA, comme un reporter sur le front des luttes : manifs, sit-in, interventions des CRS, etc. C’est de l’actualité comme il convient de la couvrir : avec attention, sans prendre parti (apparemment, car on sent la complicité avec les ouvriers).


 


 


 

Avec tristesse et morosité : rien n’a pété, évidemment.
Mais la sélection du film par la Quinzaine a permis à ses héros malheureux de venir à Cannes donner un peu plus d’écho à leur combat.
Gageons, hélas, qu’il ne s’agit pas de l’ultime documentaire sur le sujet.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°395, été 2019

1. À bientôt j’espère de Chris Maker & Mario Marret, production Slon et Iskra, photographie de Pierre Lhomme (1968), tournage à l’Usine textile Rhodiaceta, Besançon, Doubs, France.

2. Selon The Nottingham Review du 20 décembre 1811, l’apprenti Ned Ludd aurait brisé un métier à tisser chez son maître en 1779, à Leicester. On n’a plus entendu parler de lui, mais il a donné son nom au luddisme, mouvement bien réel, lui, qui à partir de mars 1811 et jusqu’à la fin de 1817, cassa les machines, accusées de supprimer les emplois.
En 1813, une loi instaurant la peine capitale pour le bris de machine fut votée et 13 luddistes furent exécutés. Cf le discours de Lord Byron.
En 1995, le journaliste Kickpatrick Sale proclama que "les luddistes étaient de retour", en brisant un ordinateur publiquement, lors d’une conférence au New York City Town Hall. Il semble que la question de la lutte contre les excès de la technologie soit de nouveau à l’ordre du jour.
Cf. :
* Kevin Binfield (ed.), Writings of the Luddites, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2004.
* Kirkpatrick Sale, La Révolte luddite. Briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation, Paris, L’échappée, 2006.
* Vincent Bourdeau, François Jarrige et Julien Vincent, Les Luddites. Bris de machines, économie politique et histoire, Maisons-Alfort, Éditions è®e, 2006.

3. La Loi du marché de Stéphane Brizé (2015) sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2015, Prix d’interprétation masculine pour Vincent Lindon ; En guerre de Stéphane Brizé (2018), toujours avec Vincent Lindon, sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2018.


On va tout péter. Réal, ph, mont : Lech Kowalski (France, 2019, 109 mn). Documentaire.



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