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Lillian (2019)
de Andreas Horvath
publié le mercredi 11 décembre 2019

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019

Sélection de la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2919

Sortie le mercredi 11 décembre 2019


 


Andreas Horvath s’est inspiré de la véritable histoire de Lillian Alling, qui, au début du siècle, décide de rejoindre la Sibérie à pieds en partant de New York.
Le film se déroule à l’époque contemporaine. Il commence à New York, dans un bureau où défile sur un petit écran un film porno interprété par Lillian. Le producteur, désabusé, lui suggère de rejoindre la Russie, son pays natal, pour "se faire du fric".


 


 

Ces premières images et l’enjeu défini risquent de dissuader de suivre l’aventure prodigieuse qui va suivre. Ce serait regrettable, car Patrycja Planik (réalisatrice, photographe et actrice polonaise) interprète Lillian de façon flamboyante. La lumière qui émane de sa personne, sans qu’elle dise un seul mot, est une splendeur. Le voyage dure le temps du film, cent vingt-huit minutes magnifiques.


 

Lilian renie son passé, jette ses photos dans une bouche d’aération et prend la route ou, plutôt, le périphérique, bas noirs troués, aux pieds, de vieilles bottines. Le jour et la nuit, de maisons inhabitées en voitures accidentées abandonnées dans les terrains vagues, elle trouve toujours où dormir à l’abri. Elle se lave dans les toilettes des postes d’essence, chaparde ici ou là de quoi manger et se vêtir.


 

Le réalisateur parvient à nous restituer son éblouissement devant le Midwest américain, comme s’il découvrait soudain l’immensité des paysages et leur beauté, et cette jeune femme seule, confrontée à la nature, luttant pour survivre face à la faim, à la solitude, à la peur. Une expérience de cinéma proche de celles que fabriquait Werner Herzog, aux confins de l’extrême, un cinéma qui éprouve et blesse parfois jusqu’à la mort.
Sur la route, des pancartes informent du danger de faire du stop pour les femmes, de la disparition de certaines qui ont bravé les interdits, et, lors de la traversée de la vallée, une succession d’images voilées, pluvieuses, stupéfiantes de tristesse, et de paysages aux formes brouillées.


 


 

Andreas Horvath n’a pas peur du vide, il filme avec un plaisir intense les arbres, les ciels, un oiseau noir perché sur une branche, cadré comme un tableau de Caspar David Friedrich, et les étendues cultivées de maïs dans le corn-belt ou l’Illinois, et cette course infernale de Lilian, dans les champs de maïs qui ondoient sous le soleil, pour échapper au conducteur d’un pick-up. Puis l’Iowa, jusqu’au Nebraska où elle rencontre un bon shérif méditant devant une vanité, et qui lui donne sa veste pour se réchauffer.

Le long de la vallée du Mississippi ou dans les grandes plaines du Dakota du Nord, dans des déserts à perte de vue, dans les Rocheuses, dans la vallée de la Mort, dans cet Ouest, lieu d’affrontements anciens entre tribus et pionniers, jusqu’à, enfin, l’Alaska - le froid, le givre, le vent et la disparition de Lilian, tout près du détroit de Bering.


 


 

Andreas Horvath a filmé son parcours, à travers les paysages étonnants de grandeur et d’aridité, sans que rien ne lui arrive, contrairement à ce que laissaient présager les plans initiaux. Son film est empli d’une poésie tragique, teinté d’une sensualité puissante et originale - lorsqu’elle croque dans une tranche de pastèque, le fruit ouvert entre ses jambes, on pense au tableau que seul peut-être Picasso aurait pu peindre…

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019


Lillian. Réal, sc, ph, mu, mont : Andreas Horvath ; mont : Michael Palm ; prod : Ulrich Seidl. Int : Patrycja Planik (Autriche, 2019, 130 mn).



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