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Inside Job (2010)
de Charles Ferguson
publié le mardi 15 décembre 2015

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°331-332, été 2010

Sélection officielle hors compétition au festival de Cannes 2010
Oscar 2011 du meilleur documentaire

Sortie le mercredi 17 novembre 2010


 


On ne compte pas les films américains qui commencent par un travelling en plongée sur Manhattan, zoomant sur quelque chambre, ou quelque humain. La caméra caresse la ville, s’attarde. Et parfois, le film finit de la même manière, en une épanadiplose allant de soi, cercle vertueux. Les Américains aiment pasionnément leurs buildings qui grattent le ciel, et sans doute plus que tout, ceux de Manhattan, qui plus que L.A., est la ville des anges.


 

Inside Job, "un documentaire sur la crise", commence comme ça, un survol de Manhattan. Est-ce que Google Earth 3 D est passé par là, est-ce une couleur trafiquée, un angle spécifique de la caméra ? Toujours est-il que ces images sont glaçantes, ce sont des tours de Babel, arrogantes, préfigurant l’apocalypse. Ce sera la seule concession au feeling de Charles Ferguson. Après, il passe aux choses sérieuses, et se paye les escrocs.


 

Le capitalisme progresse par crises, et tant pis pour le coût humain. La crise économique de 2007 est la pire qu’on ait connue. D’origine financière et mondiale comme celle de 1929, elle n’a pas l’excuse de l’innocence, et il ne s’agit plus d’incompétents apprentis sorciers. Elle est le résultat de la méthodique dérégulation du système des années 80, puis du "travail intérieur" de nature mafieuse qu’elle a généré, avec un effet épidémique planétaire, à la vitesse multipliée par les nouvelles technologies. Autres temps, autres mœurs, disent les keynésiens modérés, et personne n’est allé en prison.


 


 


 

Charles Ferguson avait déjà sévi avec No End in Sight : The American Occupation in Iraq, en 2007, primé au festival de Sundance.
Il sort de Berkeley et du MIT, et il connaît la musique pour avoir été consultant indépendant chez Apple ou Xerox. Quand il s’attaque à "la crise", il a le bon carnet d’adresses : du cinéaste islandais à Lehman Brothers, du MIT à Fortune Magazine, de la business school au philanthrope.
Une quarantaine de personnes interviewées, célèbres (Soros, Strauss-Kahn, Lagarde) ou inconnues, tout le monde est là.


 


 

Dans ce panel des puissants du monde, il y a ceux qui ont crié au loup en vain. Beaucoup, prudents, ont refusé de répondre.
Mais défilent surtout pdg, banquiers, experts, lobbyistes, ministres, gouverneurs, savants économistes de prestigieuses universités et juristes bien placés, journalistes, entremetteuse et michetons. Tous "clients".


 


 

Charles Ferguson ne les lâche pas, faisant surgir, des arguments logiques convenus, l’évidence de la corruption. La démonstration est implacable. La chute est sévère : dans l’équipe de Barack Obama, les anciens mafieux, non-repentis, sont très nombreux.
Il pense, ou feint de penser, que le capitalisme est moralisable. Mais vous savez quoi ? le gouvernement continue à être dirigé par Wall Street.


 

Matt Damon est le narrateur, Charles Ferguson, malgré qu’il en ait, est un dangereux gauchiste. Ils ont toutes nos faveurs, et la gauche américaine devrait être mieux entendue en France. On aimerait que le film sorte sur nos écrans, comme on aimerait que Noam Chomsky sorte du malentendu qui l’étouffe.

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°331-332, été 2010


Inside Job. Réal, sc, pr : Charles Ferguson ; ph : Svetlana Cvetko & Kalyanee Mam ; mont : Chad Beck & Adam Bolt ; mu : Alex Heffes. Interventions : Gylfi Zoega, George Soros, Dominique Strauss-Kahn, Andri Snær Magnason, Sigridur Benediktsdottir, Paul Volcker, Barney Frank, David McCormick, Scott Talbott, Andrew Sheng, Hsien Loong Lee Christine Lagarde, Gillian Tett, Nouriel Roubini ; commentaire dit par Matt Damon (USA, 2010, 120 min). Documentaire.



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