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Histoire d’un regard (2019)
de Mariana Otero
publié le samedi 13 mars 2021

par Bernard Nave
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 29 janvier 2020


 


Histoire d’un secret (2003) est son premier film sorti en salle, Histoire d’un regard 2019) son nouveau film.
Mariana Otero, que l’on rattache à la famille des documentaristes, se plaît à raconter des histoires en images, tout en travaillant avec une immense attention le texte, l’intonation de la voix. Car c’est aussi cela, l’art de raconter des histoires. Dès lors, le terme "documentaire" s’avère trop étroit pour encadrer l’expérience que constitue la réception d’un de ses films.


 

Une histoire, on peut souvent la découvrir en ouvrant un livre et c’est ainsi que démarre le film. Ouverture d’un emballage de papier kraft avec, comme surprise, le scrapbook de Gilles Caron.


 

Découvrant certaines photos célébrissimes, comme celle de Cohn-Bendit au sourire mutin face à un CRS, (sans savoir qu’elle était signée par lui), lisant que le photographe était mort à 30 ans au Cambodge, Mariana Otero rencontre les filles de Caron et se voit confier un disque dur contenant les cent mille photos qu’il a laissées.


 

Elle plonge à corps perdu dans ce trésor qu’il faut d’abord ordonner, certains rouleaux étant mal numérotés. D’une certaine manière, elle nous donne à voir ce qu’est le travail de documentariste. Et ce sont les murs de son bureau qui deviennent de vastes tableaux sur lesquels elle accroche planches contacts, tirages, notes personnelles. Elle nous invite à la suivre dans l’exploration de la courte mais fertile carrière de Gilles Caron.


 

Une première idée se fait rapidement jour, celle qu’un photojournaliste plongé dans la recherche de l’instant signifiant peut aussi être un artiste. L’histoire de Gilles Caron recouvre celle de son regard, d’où le titre du film. Un regard que Mariana Otero décrypte pas à pas, depuis les années de service militaire en Algérie, qui sont déjà celles d’un rejet de la guerre qu’il a sous les yeux.
Images mentales, puisqu’elles ne sont pas encore celle d’un photographe, mais images qui vont inévitablement nourrir celles qu’il cadrera dans son viseur sur les différents champs de bataille qu’il va couvrir au cours de sa brève existence.
La réalisatrice montre comment, dans les plans larges, se découpent des visages, des corps qui portent les stigmates de la violence qu’ils endurent. Mais aussi ces silhouettes de lanceurs de pavés de Paris en mai 68 ou de Derry en Irlande du Nord. Il s’agit véritablement d’une esthétique de plus en plus affirmée qui fait de Gilles Caron un artiste.


 

Mariana Otero habite littéralement son film.
Par sa présence à l’écran, par sa voix, elle donne à voir son travail en une véritable leçon de méthode documentaire. Rien de pédagogique toutefois. Comme dans Histoire d’un secret, c’est sa sensibilité propre qui guide son regard à elle. On en veux pour preuve la manière dont elle conduit son exploration des photos prises au Biafra, aux côtés de Raymond Depardon. Elle monte cette séquence pour aboutir à son propre effacement devant les photos dont la force impose le silence. Plus de voix, plus de musique.

Cinquante ans plus tard, l’émotion reste intacte. On est au cœur même de ce que le cinéma entre les mains de Mariana Otero peut accomplir, ce dépassement des frontières du documentaire qui atteint le cœur.

Bernard Nave
Jeune Cinéma en ligne directe

* Sur France Culture.


Histoire d’un regard. Réal, sc : Mariana Otero ; sc : Jérôme Tonnerre ; ph : Hélène Louvart, Karine Aulnette ; mont : Agnès Bruckert ; mu : Dominique Massa (France, 2019, 93 mn). Documentaire.



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