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Mine de rien (2019)
de Mathias Mlekuz
publié le mardi 3 mars 2020

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 26 février 2020


 


Le bassin houiller du Nord, de Valenciennes à Béthune, en passant par Lens et Douai, c’est une histoire de trois siècles, une récession de 60 ans, avec une dernière remontée des mineurs à Oignies, il y a 30 ans. Mais un pays sinistré, avec vagues tentatives de reconversion, ne devient pas magiquement un pays dépeuplé, et la mémoire est encore vive chez les habitants qui y demeurent.


 

Le premier film de Mathias Mlekuz est l’histoire, intemporelle, de villageois chômeurs abandonnés (formation interrompue, entreprise délocalisée) qui décident de ne pas se laisser abattre, de vivre plutôt que de survivre.
On rigole d’emblée à l’entame du film : le stage de formation, qui doit faire partie d’un plan d’apaisement, est inénarrable, sur lequel ont dû bosser sérieusement des ressortissants du secteur tertiaire, entre reporting, power points, POV-Ray, SGML et autres XUL, personne ne comprend rien, sauf le militant CGT.


 


 

Mais la vie quotidienne est moins drôle. Arnault (Arnaud Ducret) doit surveiller sa maman perdue, Thérèse (Hélène Vincent), qui garde les cendres de son défunt mari dans un boite de Nesquik qu’elle prend donc, logiquement, pour du chocolat. Il doit aussi fournir des alibis à son pote cavaleur Di Lello (Philippe Rebbot) et endurer l’insolence de ses fils, intéressés principalement par le fric de leur beau-père. Et puis, la région continue à décliner, et une ancienne mine désaffectée proche va être détruite. Ce vestige du passé, c’est leur seul patrimoine, avec ses voisins, il refuse cette nouvelle spoliation, il faut réagir.


 


 

Sous la réjouissante influence de Stella (Mélanie Bernier), qui ne compte pas laisser péricliter son bistro, il va trouver une issue. Pour commencer, il confie sa mère à Roger (Rufus), un vieil ouvrier qu’elle a séduit dans le passé, "parce que pour s’occuper d’une Alzheimer, il faut l’avoir aimée". Et puis, pour réanimer le désert, avec son ami, s’ils n’ont pas de travail, ils ont des idées. Ils décident d’aménager la mine en un parc d’attraction, on fait bien des hôtels 5 étoiles dans des prisons réformées.


 

Tout le monde s’y met. On va même chercher le vieil ingénieur mis à l’index parce qu’il pensait ne pas avoir le droit de grève. On mobilise les connaissances juridiques du camarade de la CGT, et, quand il faut un avocat, on s’en donne les moyens. Un solide collectif s’instaure, qui réveille le savoir-vivre de chacun. On s’attend presque à ce que la Maire du village, qui pourtant invoquait la sécurité pour éteindre leur encombrante vitalité, rejoigne leur bon courant.
La mine attractive va rouvrir, avec trois tarifs, un pour les riches à 8 euros, un pour les pauvres, et un à 2 euros pour qui le choisit.


 

Le film se passe dans le village imaginaire de Buchy, mais il a été tourné sur les vrais terrils et les vrais corons de Loos-en-Gohelle, Lens et Liévin, avec 450 figurants locaux, d’anciens mineurs et des supporters du RC Lens, qui transmettent "la ferveur populaire des gens du Nord".


 


 

Mathias Mlekuz, on le connaît bien comme acteur à la télévision, où son visage familier a habité plus de 70 films et notamment des séries à succès comme Nicolas Le Floch Avocats & associés ou Qu’est ce qu’on attend pour être heureux ? Il est petit-fils de mineur, fils de militant communiste, il peut chanter Les Gueules Noires sans paraître condescendant. Son premier film comme réalisateur est un réjouissant petit "conte social" comme il l’appelle. Après si longtemps, après la vague anglaise des années 1990, la tragédie de la mine est devenue comédie, et même le montage est marrant, avec ses rétablissements de situation sans transition, comme le beau-père avocat soudain coopératif et tuméfié après un bon ramponneau.


 

Le film sonne juste et bienveillant, et on en sort de très bonne humeur. Il appartient à un genre généralement réservé aux réseaux vertueux comme Visions Sociales, le Michel, la Clef, ou les séances du ciné Attac. (1) Mais on lui souhaite un avenir plus vaste, analogue à celui des Virtuoses. (2) Au festival de L’Alpe d’Huez 2019, le film a reçu le Prix du Public.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Visions sociales au festival de Cannes. Le cinéma La Clef Revival, cinéma en sursis permanent. ATTAC, qui organise un festival de cinéma depuis 2003, Images mouvementées.
Le Michel, alias le cinéma Saint-Michel, suivant la directive lettriste de supprimer le mot "Saint" des dénominations urbaines : On hésite entre les stations Sulpice et Placide, finalement, on descend le boulevard Michel, jusqu’à Strasbourg-Denis... etc.

2. Les Virtuoses (Brassed Off) de Mark Herman (1996), "petit film" méprisé par les producteurs et les distributeurs, sorti juste avant les élections en pays thatchériste, connut un grand succès public, puis critique, grâce au simple bouche à oreille, alors que les réseaux sociaux n’existaient pas. The Full Monty de Peter Cattaneo, sorti en 1997 qui a poursuivi dans la même veine, a profité de ce courant porteur, dépassant le succès de son prédécesseur.


Mine de rien. Réal : Mathias Mlekuz ; sc : Mathias Mlekuz, Philippe Rebbot & Cécile Telerman ; ph : Lucas Leconte ; dial : Mathias Mlekuz & Philippe Rebbot ; mu : Matthieu Gonet ; déc : Victor Melchy. Int : Arnaud Ducret, Philippe Rebbot, Mélanie Bernier, Hélène Vincent, Rufus, Rebecca Finet, Mohamed Makhtoumi, Marianne Garcia, Cyril Aubin, Patrick Rocca, Anthony Lequet (France, 2019, 75 mn).



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