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Bonne Épouse (la) (2019)
de Martin Provost
publié le samedi 13 mars 2021

par Claudine Castel
Jeune Cinéma n°399-400, février 2020

Sorties le mercredi 11 mars et le lundi 22 juin 2020


 


Le rideau se lève sur le parc de la pension Van der Berck en Alsace et sur la représentation qui va se jouer dans cette école ménagère. Dans la fabrique de fées du logis et d’épouses vertueuses, l’éducation repose sur sept piliers, une satire des stéréotypes de la femme soumise.


 

Martin Provost (1), grâce à son trio d’actrices, pratique la caricature, tel "l’art du portrait ridicule" défini par Filippo Balduccini (1). Juliette Binoche excelle en bourgeoise guindée avant de devenir une veuve émancipée. Yolande Moreau campe une ingénue poétique qui, hachoir en main, mue en Maïté reine des fourneaux. Noémie Lvovsky, nonne revêche à la Cabu, fait régner la loi. Du côté des élèves, s’esquisse une opposition de classes entre l’insolente fille de bonne famille et celle promise à un mariage forcé. La fille délurée du cafetier se charge de dessiller les yeux.


 

Mai 68 s’annonce, la bande son recrée l’époque : chansons d’Adamo et de Joe Dassin, les voix de Ménie Grégoire, de Guy Lux. À la radio, on parle de la loi Neuwirth et de grève. La rébellion au dortoir évoque Zéro de conduite.


 

Les scènes de comédie tiennent aux choix du cadrage et au tempo : sœur Marie-Thérèse donne le branle des cours de nettoyage qu’elle rectifie, dès qu’elle repère l’œil du mari voyeur dont la mort subite vue de la fenêtre relance l’action. Après l’équipée en DS du trio sur la route enneigée ("femme au volant gare au tournant"), l’idylle de Paulette avec le banquier (Édouard Baer) et le final manquent d’un grain de folie. Reste que le film est une piqûre de rappel sur la réalité des profondes disparités dans l’éducation des filles des années 60.


 

Les écoles ménagères subsistent à Paris et davantage en province, certaines ont été crées par le milieu industriel comme les Houillères nationales du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais. Le documentaire de Nadège Buhler, Les Petites Servantes de l’école ménagère de Carspach (2015) décrit une institution religieuse destinée aux filles des riches industriels de Mulhouse. Les rares filles issues de la classe ouvrière admises gratuitement travaillaient à l’entretien des lieux étant vouées à devenir domestiques. L’épreuve facultative "Enseignement ménager" du baccalauréat ne fut abrogé qu’en 1984.

Claudine Castel
Jeune Cinéma n°399-400, février 2020

1. L’émancipation des femmes est le sujet majeur de la filmographie de Martin Provost : Tortilla y cinema (1997), Le Ventre de Juliette (2003), Séraphine (2008), Où va la nuit (2011), Violette (2013), Sage Femme (2017).

2. "L’art du portrait ridicule […] une méthode qui consiste à faire des portraits en recherchant une ressemblance aussi complète que possible avec la physionomie de la personne représentée, tout en accusant certaines caractéristiques et en faisant ressortir les défauts dans le but de se divertir et parfois pour se moquer, de sorte que, dans l’ensemble, le portrait puisse donner l’impression de voir le sujet lui-même, alors que des éléments sont modifiés". Filippo Baldinucci, Dictionnaires des termes artistiques (1681) cité par E. H. Gombrich in L’Art et l’Illusion (1959).


La Bonne Épouse. Réal, sc : Martin Provost ; ph : Guillaume Schiffman ; mont : Albertine Lastera ; mu : Grégoire Hetzel. Int : Juliette Binoche, Yolande Moreau, Noémie Lvovsky, Édouard Baer, François Berléand, Marie Zabukovec, Anamaria Vartolomei, Lily Taiëb, Pauline Briand (France-Belgique, 2019, 110 mn).



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