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Lindeperg, Sylvie (livre)
Les Écrans de l’ombre (2014)
publié le dimanche 7 juin 2020

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°360, été 2014

Sylvie Lindeperg, Les Écrans de l’ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français, Éd. Points Histoire, 2014.


 


Une première version de ce livre avait été publiée par le CNRS en 1997. La présente édition, plus facilement accessible, a été refondue et augmentée. Entre temps, Sylvie Lindeperg a écrit trois autres livres extrêmement utiles (1).

Avec Les Écrans de l’ombre, elle étudie en historienne la manière dont le cinéma français s’est emparé de la Seconde Guerre mondiale, telle qu’elle a été vécue en France et représentée entre 1944 et les années 70. Entre les nombreux films visionnés, les archives publiques et privées, les rencontres avec les protagonistes encore en vie, la matière ne manque pas. L’auteure cite et commente ses sources dans des notes souvent éclairantes qui méritent d’être lues aussi attentivement que le texte principal. Il faut reconnaitre que la lecture de son ouvrage s’apparente à celle d’une enquête qui ne cesse de réserver des surprises, presque à la manière d’un polar.

Elle ne se contente pas de parler des films et de leur contenu. Elle privilégie les modes de productions, les choix de réalisation et le style, et, surtout, elle décrypte comment les films mentionnés (ils sont nombreux) se situent dans les luttes d’influence entre les différents mouvements de la Résistance et tout particulièrement entre gaullistes et communistes, dans une véritable "bataille de mémoire". Sylvie Lindeperg mentionne avec beaucoup de justesse l’importance du contexte politique dans lequel les films sont réalisés.

Ce qui paraît le plus étonnant tient à la place de la censure, non pas tant celle qui survient à la sortie des films que celle qui intervient dès le scénario. Cela semble surprenant pour un lecteur qui n’a pas connu cette époque, mais la lecture des documents compulsés donne la mesure des contraintes imposées afin de ne pas désacraliser la France, considérée comme héroïque dans la doxa post 44.
L’accueil critique des films est aussi largement exploré (voir par exemple les réactions à Hiroshima mon amour de Alain Resnais et à la scène de la tonte de cheveux par les résistants de Nevers). À juste titre, elle revient sur les réactions tout à fait sidérantes lors de la réédition de La Grande Illusion, jugé vichyssois, complaisant à l’égard des Allemands.

Sylvie Lindeperg suit aussi avec beaucoup de précision les évolutions qui se sont manifestées au fil des décennies dans la manière d’appréhender l’histoire, soulignant les béances dans les problématiques avec surtout la grande absence des références à la Shoah. Sur la fin, elle consacre de nombreuses pages au film maudit de Jean Dewever, Les Honneurs de la guerre (1962) et ce qu’elle en dit, tant sur les difficultés que sur les interprétations, se révèle passionnant.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°360, été 2014

1. Clio de 5 à 7. Les actualités filmées de la Libération, CNRS Éditions, 2000 ; Nuit et Brouillard, un film dans l’histoire, Éditions Odile Jacob, 2007 ; La Voie des images : quatre histoires de tournage au printemps-été 1944, Éditions Verdier, 2013.


Sylvie Lindeperg, Les Écrans de l’ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français, Éd. Points Histoire, 2014, 567 p.



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