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Morgan (1966)
de Karel Reisz
publié le dimanche 24 juillet 2016

par Jacqueline Roig
Jeune Cinéma n°17, septembre-octobre 1966

Sélection officielle au festival de Cannes 1966.
Prix d’interprétation féminine pour Vanessa Redgrave au Festival de Cannes 1966

Sortie le mercredi 21 septembre 1966


 


Morgan Delt a la spontanéité de l’enfant qu’il est resté. Il aime les fleurs, les animaux, la mythologie révolutionnaire de son enfance. Il refuse le confort, la Rolls des beaux-parents, et même l’appartement luxueux qu’il avait pourtant décoré de singes empaillés, de faucilles et de marteaux peints sur les glaces ou découpés dans les tapis.


 


 

Sa femme a obtenu le divorce. Puisqu’il est chassé de chez lui, à son retour de voyage, il transforme à sa façon le break qui lui reste. Il en fait un monde à lui, peuplé des images de Marx, de Lénine, d’étoiles rouges, un défi à la société bourgeoise qui l’a répudié et chassé. De sa voiture garée au pied de la maison conjugale, il va guetter la possibilité de reconquérir cette femme qu’il aime. Comment conduire cette lutte, qui peut gagner ?


 


 

Le film est dominé par la haute silhouette de David Warner qui sort victorieux de tous les mauvais tours qu’il joue à ses adversaires, soit qu’il trouble les amours de sa femme et son amant par l’enregistrement d’un lancement de fusée, soit qu’il place sous le lit conjugal une bombe que sa belle-mère fera sauter. Morgan est inlassable et les gags se succèdent dans un mouvement irrésistible, faisant de ce film un des plus animés, des plus riches et des plus sensibles qu’on ait vus depuis longtemps.

Mais ce Morgan révolté et agressif peut devenir attentif et tendre quand il rejoint sa mère dans le petit café d’une rue populaire de Londres. Elle lui reproche de se laisser aller à un dilettantisme pernicieux et lui la traite de stalinienne. Mais pour tous les deux, reste présent le souvenir du père militant d’autrefois, annonçant le grand soir qui verra fusiller la famille royale, supprimer le mariage et envoyer les gosses de bourgeois travailler à la chaîne.


 

La tendresse que Karel Reisz témoigne à son personnage explique le plaisir que nos prenons à l’accompagner dans ses aventures. Que Morgan soit fou à lier ou "a suitable case of treatment", comme il est dit dans le titre, cela semble un clin d’œil au public. Nous nous laissons séduire par son humour caustique et nous disons, comme Léonie sa femme, "Je suis heureuse de t’avoir eu".


 

Mais cette histoire de fou sur le mode burlesque ne signifie-t-elle pas que pour échapper aux valeurs et aux conventions d’un monde bourgeois (que Karel Reisz ne fait jamais que suggérer), il faut endosser la peau d’un singe ? Ne signifie-t-elle pas aussi que Morgan, fidèle à l’image que l’on se fait de lui, devient le singe que l’on veut qu’il soit ? "Je suis allé voir mon psychiatre", dit-il, et celui-ci n’est autre que le gorille du zoo qui se frappe la poitrine et que Morgan s’entraîne à imiter.


 


 

Sa femme va devoir choisir entre le squelette qu’il a dissimulé sous les couvertures, et cet homme vivant qui l’arrache à un riche marchand de tableaux, le jour de son mariage, en atterrissant, au milieu de la cérémonie, sous la peau d’un gorille. Il gagne, d’ailleurs, puisque Léonie crie à son King Kong : "Sauve-toi Morgan !", et que, plus tard, elle viendra lui apprendre, dans l’asile où il est enfermé, qu’elle attend un enfant de lui, celui qu’il souhaitait avoir, ce fameux jour où il s’était introduit dans le jardin de sa femme en disant "Nous devrions le remplir de tournesols, de bouteilles de whisky vides, de bébés, des bébés de Delt".


 

Cette fin n’est cependant pas une happy end et le film qui appelle le plus souvent le rire contient une étrange amertume. Elle se fixe sur l’image de Morgan, déguisé en gorille, qui échappe de peu à une poursuite effrénée après s’être jeté dans la Tamise, et qui n’arrive plus, échoué sur les vieilles boîtes de conserve, à sortir de sa peau. Il rêve, assis sur un fauteuil de dentiste, dans un décor chaotique et un monde de déchets, et contre lui se dressent, fusils en main, même sa mère, même sa femme. Il est abandonné de tous, tué par tous.


 

Quand il avait accompagné sa mère sur la tombe de Karl Marx, il y avait lu : Les philosophes ont essayé de comprendre le monde, notre problème est de le changer". Le monde n’a pas changé et Morgan n’y trouve pas sa place. Dans la figure de bronze de Marx, il semble apercevoir quelque ressemblance avec le gorille qu’il affectionne. Il ne lui restait que la révolte et il est enfermé.


 

On sourit à sa dernière vengeance. Le jardinier qu’il est devenu, disposera les fleurs du parterre de telle sorte qu’elles dessinent une faucille eu un marteau.
Charlie Chaplin bafoué se contentait, après son dernier tour, d’un sourire amer. Karel Reisz, qui semble être resté dans la tradtion des grands films comiques, nous livre de Morgan dans sa dernière image, une ultime révolte qui signifie tragique impuissance.

Jacqueline Roig
Jeune Cinéma n°17, septembre-octobre 1966


Morgan (Morgan : A Suitable Case for Treatment). Réal : Karel Reisz, assisté de Stephen Frears ; sc : David Mercer ; ph : Larry Pizer ; mont : Tom Priestley, Victor Procter & Jack Harris ; mu : John Dankworth. Int : • David Warner, Vanessa Redgrave, Robert Stephens, Bernard Bresslaw, Graham Crowden (Grande-Bretagne, 1966, 97 mn).



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