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Tenet (2020)
de Christopher Nolan
publié le mercredi 7 octobre 2020

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°402-403, automne 2020

Sortie le mercredi 25 août 2020


 


Pour ses films les plus personnels, Christopher Nolan choisit des mots qui font figure de concept. Memento (2000), Inception (2010). Et donc en 2020, Tenet titre palindrome, avec toutes les lectures possibles, quant à la signification cachée d’un tel choix, à partir du principe développé dans le film d’un télescopage entre deux Temps.


 

Formellement, le titre apparaît discrètement à l’écran après une première séquence qui affiche d’emblée les ambitions de Nolan. Nous sommes à l’Opéra de Kiev et lorsque l’orchestre s’apprête à obéir à la baguette du chef, tout se dérègle et bascule dans le chaos, avec des forces en présence dont on ne comprend pas tout de suite ce qu’elles sont, ni quels sont les enjeux. La mise en scène et le montage ultra rapide, la musique à plein volume visent à clouer le spectateur dans son fauteuil, dans une sorte d’admiration incrédule devant tant de virtuosité. Il faut que cette tension initiale retombe un peu et laisse le dialogue se déployer pour que l’on commence à percevoir dans quel monde le film va nous plonger.


 

Le "tenet", le principe, repose sur un affrontement entre deux espace-temps, présent et futur, qui contiennent la possibilité de prise de contrôle de l’arme de l’apocalypse et possiblement de la fin du monde. Cette idée de départ ouvre des possibles dans les champs de la science-fiction, du film d’espionnage, de la métaphysique. Christopher Nolan ne se prive pas de les associer pour tenter de livrer le "méta film" censé fédérer des publics très différents.


 

Le public des films d’action y trouvera son compte de scènes chocs, certaines classiques dans leur conception, comme celle de la poursuite de voitures et camions sur autoroute, revisitée à la mode Nolan. Celle d’un Boeing pénétrant dans un hangar est sans doute plus originale.
Le spectateur à la recherche d’un contenu plus énigmatique, voire philosophique, trouvera du grain à moudre, tant le cinéaste s’évertue à tirer de son idée de départ toutes les variantes possibles, sans forcément leur donner une grande cohérence. Au sortir de cette plongée dans les abîmes du temps, restent de nombreuses questions sans réponses et peut-être surtout le sentiment d’avoir dû s’évertuer à interpréter un propos un peu vain. On est obligé de convenir que peu de choses nous rattachent à des problématiques d’aujourd’hui.


 

Pour incarner ce scénario aux ambitions multiples, Christopher Nolan doit compter sur des personnages qui renvoient à des prototypes finalement convenus, articulés sur les bons et les méchants, même si, heureusement, apparaissent des nuances.
Toutefois, on retombe dans les schémas moraux archi connus, ceux des James Bond par exemple. Certes le protagoniste (il porte ce nom au générique) est interprété par un acteur noir, John David Washington en l’occurrence. Mais pour le reste, on se retrouve en territoire bien balisé. Il ne se prive pas de jouer sur les similitudes avec la mécanique bondienne, celle des meilleurs œuvres (par exemple les deux derniers, signés Sam Mendes, Skyfall (2012), et Spectre (2015). L’articulation entre scènes d’action et arrière-plan narratif, les déplacements aux quatre coins du monde, le suspense littéralement minuté à l’image, etc.


 

Dans la mise en scène, il se lance certains défis. C’est sur ce plan que l’on finit par porter son attention, parce que le film semble mériter que l’on ne le déclare pas totalement inutile. Et que, de toute façon, un film de Christopher Nolan se distingue du tout-venant des blockbusters insupportables. L’œil finit par s’attarder dans l’observation des scènes de bagarres et de combats entre les ennemis du présent et ceux venus du futur. Si Méliès avait accidentellement trouvé comment créer du comique dans l’effacement dû à un accident d’alimentation de la pellicule, c’est une tout autre affaire que de régler un combat dans un couloir entre l’interlocuteur et un féroce adversaire venu d’un ailleurs temporel.


 

Le résultat est totalement déstabilisant. Le revers de cette recherche de l’exploit technique n’en est pas moins patent. L’impression de gratuité du film éclate au rythme des effets visuels et sonores. Le choix de la musique, son caractère assourdissant rendent le tout parfois insupportable tant celle-ci contribue à recouvrir l’image, comme une médiocre crème chantilly sur une piètre pâtisserie.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 402-403, automne 2020


Tenet. Réal, sc : Christopher Nolan ; ph : Hoyte van Hoytema ; mont : Jennifer Lame ; mu : Ludwig Göransson. Int : John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, Michael Caine, Dimple Kapadia, Kenneth Branagh, Clémence Poésy (USA-Grande-Bretagne 2020, 150 mn).



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