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Michel-Ange (2019)
de Andreï Konchalovsky
publié le mercredi 19 mai 2021

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°402-403, automne 2020

Sorties les mercredis 21 octobre 2020 et 19 mai 2021


 


Dans les premières images de Il peccato, Michel-Ange (Alberto Testone) est filmé de dos, il marche pieds nus sur un chemin de Toscane, en maudissant Florence.
Dernier plan du film, il avance, exalté, triomphant et fier, sur le chemin, à pas rapides, face à la caméra, tenant dans ses mains la maquette de la basilique St-Pierre de Rome.
Andréï Konchalovsky le présente dans le mouvement et l’ardeur d’une de ses premières sculptures, San Petronio, réalisée en marbre pour l’église Saint-Dominique de Bologne. Il a alors un peu plus de 20 ans et a déjà réalisé ses œuvres célèbres, La Pieta, David, ébauché Moïse.


 

Le cinéaste se défend à juste titre d’avoir réalisé un biopic : il ne s’attache pas à évoquer la longue vie de Michel-Ange, mais une période d’environ trente ans - qui se déroule entre ces deux plans - pour tenter de déchiffrer la complexité de sa personnalité, capable d’exprimer à la fois les formes et les sentiments les plus harmonieux et les plus tourmentés et torturés, en proie aux hallucinations les plus sombres et à une mélancolie qui le mènera vers un art baroque plus libre et expressif.


 

Alberto Testone est prodigieux, avec sa mobilité qui renforce son excitation et son impatience au travail, ses cheveux hirsutes, son corps sali, son visage si proche du portrait peint par Daniele da Volterra, doux et triste à la fois, accablé par les soucis d’argent (il nourrit son père et ses frères qui le dépouillent), son regard d’abord craintif et angoissé, puis habité par l’exaltation.

Andréï Konchalovsky montre très bien les luttes intestines du pouvoir, les Médicis face à la famille della Rovere et au pape Jules II, mécènes de Michel-Ange et de Raphaël, ennemis jurés. Leurs relations sont exécrables, ils sont jaloux et opposés en tout, jusque dans leurs vêtements, soieries brodées contre vieilles laines et toiles usées.


 


 

La perfection visuelle est dans le moindre détail - justesse des lumières, des ombres, des cadrages, du rythme, des sons et des silences, avec quelques suspensions du temps et coupures du son, images arrêtées et muettes - et illustre superbement les introspections de l’artiste, douloureux, meurtri et solitaire.
À l’œuvre titanesque de Michel-Ange, représentée par cet énorme bloc de marbre brut à Carrare, surnommé le monstre, fait écho l’œuvre de Konchalovsky et sa grande richesse.


 

Plusieurs années de recherches documentaires ont été nécessaires pour la fabrication et la reconstitution des lieux, des ateliers, des copies d’œuvres sculptées et peintes, telle l’ébauche de la chapelle Sixtine. Le refus de représentation du work in progress, si chère aux biopics, et souvent bien pâle imitation, est une idée intéressante qui favorise d’autres regards sur le travail de l’artiste, depuis l’extraction du marbre, le choix et le transport du bloc, sans oublier la possibilité de s’attarder sur la cosa mentale de l’art et sur l’homme dans la société de la Renaissance. On est loin du film de Carol Reed, L’Extase et l’Agonie, avec Charlton Heston perché sur son échafaudage dans la Sixtine, le visage couvert de touches de couleurs. (1)
Ce qui fait la différence, c’est la volonté du réalisateur de filmer Alberto Testone comme Michel-Ange sculptait les visages dans le marbre, notamment dans les œuvres postclassiques où seule compte l’expressivité des personnages. Les plans rapprochés sur l’acteur dénotent la même attention du cinéaste que celle du sculpteur pour extraire et capter le signe le plus infime d’une expression, vivante et changeante. Les gros plans sur les visages, groupés ou isolés, semblent peints à la fresque par Michel-Ange lui-même.


 

Ce que l’on perçoit dans ce film, c’est la sensation de la sculpture, quelque chose de l’ordre du ressenti de la puissance, de la force du matériau et du génie d’un homme. Ce n’est pas le petit frottis sur le genou de Moïse qui nous renseigne sur le métier de sculpteur, mais bien plutôt la démesure de ses choix, son audace, sa vision intérieure, ses angoisses et ses hantises et son acharnement à penser la sculpture.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°402-403, automne 2020

1. L’Extase et l’Agonie (The Agony and the Ecstasy) de Carol Reed (1965) a été nommé, en 1966, pour 5 Oscars.


Michel-Ange (Il peccato). Réal, sc : Andreï Konchalovsky ; sc : Elena Kiseleva ; ph : Aleksandr Simonov ; mont : Karolina Maciejewska & Sergey Taraskin ; mu : Eduard Artemev. Int : Alberto Testone, Jakob Diehl, Yulia Vysotskaya, Adriano Chiaramida, Massimo De Francovich (Russie-Italie, 2019, 134 mn).



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