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Ferlinghetti, Lawrence (1919-2021)
Une vie, une œuvre
publié le mercredi 24 février 2021

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe


 


Lawrence Ferlinghetti (1919-2021) est mort lundi dernier, le 22 février 2021.

Avec Gary Sherman Snyder (né en 1930), il était le dernier survivant d’une glorieuse épopée d’artistes, dont il fut la colonne vertébrale, comme ami, comme poète, libraire, traducteur, et comme courageux éditeur.


 

À l’occasion de sa mort, tout le monde évoque son combat, en 1957, pour soutenir son ami Ginsberg et le poème Howl (1955), qu’il avait édité et qui faisait scandale. Il fut inculpé et arrêté pour obscénité. (1) Juste retour des choses, Howl est devenu l’une des œuvres les plus célèbres de la Beat Generation, avec Sur la route et Le Festin nu. (2)
On évoque aussi sa traduction des Paroles de Jacques Prévert, avec l’anecdote attenante : un jour par hasard, il aurait trouvé le poème écrit sur la nappe en papier d’un bistrot pendant son séjour à Paris. Si non e vero e ben trovato, disent les Italiens. Il s’amusait des entretiens laudateurs voire flagorneurs, et avouait volontiers qu’il pouvait raconter n’importe quoi.


 

Les autres de la Beat Band, il avait mis du temps à les rejoindre, et puis il les avait tous enterrés les uns après les autres, d’abord son précurseur, William Carlos Williams (1883-1963), et son compagnon de route Kenneth Rexroth (1905-1982), les historiques et émules de Neal Cassady (1926-1968), Jack Kerouac (1922-1969), puis, la même année au début de sa vieillesse, d’abord Allen Ginsberg (1926-1997), son préféré, et William Burroughs (1914-1997). Enfin, il y a 20 ans, saluant le nouveau siècle, Gregory Corso (1930-2001). Il y a eu aussi la mort des petits nouveaux, Lew Welch (1926-1971), Philip Whalen (1923-2002), Michael McClure (1932-2020).

Il avait enterré son meilleur ami, Homer Ferlinghetti, dont on ne sait pas exactement les dates. Celui-ci avait pissé sur la jambe d’un flic, et, pour cet acte de citoyenneté, le poète jovial lui avait écrit un texte spécial, Dog. (3)


 


 

Au tournant de sa soixantaine, il avait enterré sa femme, Selden Kirby-Smith (1923-1976), après 25 ans de mariage. Sinon, les femmes du mouvement, elles, ne sont pas encore toutes mortes, et, en France, on les connaît mal.

En 2017, pour Carolyn Drake de l’agence Magnum, il avait construuit un montage de ses "Favorite Things" (4) : sa casquette de marine, un béret français, un livre de James Joyce, référence absolue, un livre de lui, A Coney Island of the Mind, en poche évidemment (c’était le principe de la création de sa librairie City Lights), et surtout un portrait de Selden par Claude Ponsot (1948).


 

On le croyait éternel, à San Francisco, debout et entouré de ses livres, qui conservent aussi bien que le formol. Mais il fallait bien que ça finisse par arriver.

Comme le dit The Guardian, il était "the least beat of the Beat Generation", le plus politique, le plus entreprenant, le plus voyageur. (5) Quand on le rencontrait, pourtant, on faisait toujours surtout allusion à la so called Beat Generation, il trouvait ça sommaire, et ça l’agaçait, une longue vie ne peut se réduire à quelques apogées publiques. Par exemple, il était aussi un vrai peintre.


 


 


 


 

Il avait une œuvre, engagée même, et personne ne lui en parlait beaucoup, ni de son œuvre, ni de ses autres camarades, de Fluxus, par exemple.


 


 

Il croyait, comme Joseph Beuys (1921-1986), que "l’art est capable de transformer totalement le monde et la vie elle-même".
"C’est une exigence absolue, disait-il, surtout de nos jours, rien d’autre n’est acceptable. Tout le reste ce n’est que les choses ludiques de la classe de loisirs".

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Cf. Howl de Rob Epstein & Jeffrey Friedman (2010), avec James Franco qui incarne Allen Ginsberg.
Cf. aussi la chanson de Patti Smith, grande copine de William Burroughs : Spell. et le site The Allen Ginsberg Project.

2. Jack Kerouac, On the Road, New York, Viking Press, 1957. Sur la route, traduction de Jacques Houbard, Paris, Gallimard, 1960.
William Burroughs, The Naked Lynch, Paris, Olympia Press, 1959. Le Festin nu, traduction de Éric Kahane, Paris, Gallimard, 1964.

3. Dog.

4. Poet Lawrence Ferlinghetti’s Favorite Things.

5. "Lawrence Ferlinghetti obituary. Poet whose outlook spanned anarchism, ecology, publishing and the City Lights Bookstore in San Francisco", in The Guardian, 23 février 2021.



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