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Mannheim-Heidelberg 2006 I
publié le lundi 22 décembre 2014

Mannheim-Heidelberg, 16-25 novembre 2006, 55e édition

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°310-311, été 2007

Voir le programme, les jurys et le palmarès

Sasvim licno (Totalement personnel), une autobiographie du Bosniaque Nedzad Bagovic est le film le plus fauché et le plus inventif du programme, par la rapidité de son rythme.

Quatre têtes de bébés, arrière-grand-père, grand-père, père et l’auteur lui-même ouvrent le récit. Se font écho les péripéties familiales et celles de l’Histoire : la famine en famille pendant le siège de Sarajevo, quand la mère brûle ses souliers pour cuire un peu de pain. Beaucoup de cocasserie dans la représentation : deux petits portables se dandinent en cadence, Nedzad trace ses dessins sur la tête rasée de sa femme. Au cours d’une vacance au bord de mer, il filme, en hommage à Fellini, un bateau passant au large dans la nuit. En ouverture une cloche géante - "Je vais faire un chef-d’œuvre comme celui de Tarkovski".
Au finale, une surprise, l’invitation pour un festival aux États-Unis : quand la treizième demande de visa est acceptée, le festival était terminé…

Olivier Peyon a sauvé la mise de la représentation française avec Les Petites Vacances.
Le personnage central est porté magistralement par Bernadette Lafont, en institutrice retraitée chargée de convoyer ses petits-enfants pour des vacances chez leur père en Suisse. En fait, la grand-mère craque, et plutôt que de les remettre à leur belle-mère, kidnappe quasiment les enfants, pour quelques jours de dérive sans but, d’un palace en bord de lac à un home d’enfants empli de souvenirs. Le personnage rappelle la vieille dame indigne de Brecht, en version pessimiste : sa fuite n’est pas une conquête, mais un essai vain d’échapper à l’angoisse du temps

Vidange perdue, de Geoffrey Enthoven, est un film flamand situé à Gand.
La situation initiale est celle d’une famille insupportable où un vieux monsieur est tyrannisé par sa fille. Il décide de rentrer chez lui, dans son ancienne maison, un peu chaotique. Le retour de ses anciens collègues et la rencontre d’une voisine sympathique et plus jeune lui rendent sa vitalité et finalement sa sensualité.
Le film est à plusieurs niveaux : le filmage de Gand relève du documentaire, la famille-comme-il-faut est caricaturée. Le parcours amical, puis amoureux qui unit le héros et sa voisine entrelace avec bonheur humour et sentiment. Le Grand prix du Festival.

Belhorizon d’Inès Rabadàn, situé dans les Ardennes belges, a déconcerté et même choqué.
Une banale intrigue amoureuse entre un jeune homme richissime et une pauvre domestique est traitée bizarrement. Le chemin perdu dans la forêt fait penser à La Divine Comédie, la rencontre d’un acheteur avec une famille sans le sou, le nom même de l’hôtel enfoui sous les arbres, Belhorizon, tout cela se heurte à la bêtise chic du groupe d’amis. Un ton qui fait penser à l’expressionnisme belge où se mêlent la peur et la cocasserie.

Vida y color marque les débuts d’un scénariste espagnol, Santiago Tabernero.
L’action se passe en 1975 dans une petite ville de province. Un récit foisonnant suit la vie quotidienne d’un lycéen de 14 ans, Fede, issu d’une famille antifranquiste, brimé et battu par des gamins jaloux. Un Rom de vingt ans, dès son arrivée, devient son ami et protecteur. Près de lui, une camarade de lycée sympathique, une amie mongolienne qui découvre la sexualité, un clochard violeur, son grand-père, surtout, qui lui révèle comment le trio d’amis qu’ils formaient dans les années 30 fut séparé par la guerre civile. Tout se succède un peu rapidement, le trajet de Fede, son passage à l’âge amoureux, la fête finale, en allégorie d’une Espagne en voie de libération.

Pura sangue de l’Argentin Leo Ricciardi est un premier long métrage.
La voix d’un enfant, le jeune Santiago, raconte son histoire : la mort de ses parents dans un accident de voiture, le refuge à la campagne auprès d’un grand-père bougon et silencieux. Le monde rural est nouveau pour l’enfant, mais le silence de son grand-père inquiétant : Santiago, regarde, s’étonne, questionne.
Le film joue sur des détails concrets, les courses avec un chien, l’abri trouvé au haut d’un arbre, le tout sans aucune transition. Un film discret, mystérieux, un des plus touchants de la semaine.

Treseta, le film croate de deux débutants, Drazen Zarkovic et Pavo Marinkovic, fut la grande révélation du Festival.
Treseta a pour sujet l’isolement et la mort annoncée d’une petite île dépeuplée de l’Adriatique. Un sujet tragique de grande ampleur, traité sur un mode comique dont l’élément déclencheur est un jeu de cartes, la tressette, qui se joue à quatre. Quand le plus âgé des joueurs meurt, les trois compères cherchent à le remplacer. Tous y passent, le curé, le policier, le fou du village, le patron du bateau, tous évidemment perdants, jusqu’à l’arrivée d’un Croate du continent attiré par l’annonce d’une maison à louer dans le journal local. Le visiteur, bloqué par une tempête se prend d’amitié pour les îliens. En outre, c’est un champion de la tressette, qui gagne à chaque partie.
La comédie est certes joyeuse, mais le tragique enfoui se révèle par quelques éclats de violence : une bagarre subite, le rappel d’un crime, la hantise de la guerre civile.

D’Extrême-Orient

Don Che Shang Lu du Taïwanais Isaak Li traite de la dérive de quelques jeunes : un petit voleur, un jeune policier terrifié par son métier, deux filles désemparées, le film pourrait se situer n’importe où dans le monde actuel.

Tout à l’opposé, Fang Xiang Zhi Lu (La Contrôleuse d’autobus) de Zhang Jiarui : le trajet parallèle de Li Chen, la contrôleuse, et de la Chine, depuis les débuts du maoïsme jusqu’à l’an 2000, une Chine rurale, proche de la montagne. Li est fière de son petit bus, qui grimpe la route en lacets, transporte les paysannes et leur cabas et est au service du peuple.
Zhang Jiarui filme les grands espaces vus du ciel, la petite ville fraîche et colorée et l’enchevêtrement bruyant des passagers. Hui, le chauffeur, a épousé Li pour lui assurer la sécurité. Le bus, d’abord honoré au musée des Transports, finit à la ferraille. An 2000 : une autoroute a remplacé la route en lacets, des hommes en vestons s’occupent d’échanges commerciaux, Hui, accidenté, survit dans le coma depuis trente ans. Le film s’achève sur un gros plan du visage de Li : elle a retrouvé le bus, réparé le moteur, resserré les freins et s’en va.

Trois films allemands

Brinkmanns Zorn, d’Harald Bergmann, est le portrait d’un écrivain, Rolf Dieter Brinkmann, un enragé qui soudain condamne à mort l’écriture, s’en tient d’abord à des textes radiophoniques, puis n’accepte plus que les sons.
Il capte ceux de Cologne, ceux des poubelles renversées, des voitures, du fleuve la nuit, la respiration de sa femme endormie ; il apprend à son fils muet à émettre des sons.
L’invention du cinéaste est, après avoir recueilli tous les matériaux sonores du Fonds Brinkmann, de recréer le visage, les gestes de l’écrivain avec son acteur Eckhard Rohde et tout un monde visuel, celui de Cologne, de la famille et de la maison, totalement adapté aux bruits et aux voix.

Schröders wunderbare Welt (Le Monde merveilleux de Schröder) de Michael Schorr a déçu tous ceux qui avaient tant aimé Schultz Gets the Blues.
L’idée de départ était prometteuse : un jeune entrepreneur imagine de créer, au cœur charbonnier de la Silésie, un paradis touristique avec palmes, lagune et danseuses, histoire de redonner vie au village décrépit de Tauchritz en renouant ainsi une fraternité entre Allemands, Polonais et Tchèques.
Les défauts de la réalisation sont multiples, à commencer par l’inexistence des personnages centraux, le concepteur et son patron (Jurgen Prochnow, caricatural). La drôlerie de quelques séquences tient à leur incongruité, comme ces trois tricoteuses, en leitmotiv, qui attendent le paradis à un arrêt d’autobus, mais le film s’effiloche longuement.

Wir werden uns wiederseh’n (Nous nous reverrons) est, comme le premier film de Oliver Paulus et Stefan Hillebrand (cf. Jeune Cinéma n° 290), filmé à Mannheim, dans un hospice pour vieillards, et joué en grande partie par ses occupants.
L’action se passe à deux niveaux ; c’est d’abord l’irruption d’un chômeur berlinois dans ce lieu dirigé par des femmes - Holger, le nouveau venu, intéresse et l’infirmière et la directrice. D’autre part, il apporte beaucoup de gentillesse et d’innovation. Il écoute les divagations d’une femme un peu folle, facilite son rapport à un vieux monsieur, la plonge dans la piscine…
Le film est parfois franchement burlesque, parfois très émouvant. Il doit sa crédibilité aux acteurs, Top Jahn en Holger et Dietrich Gelbrecht en vieillard silencieux, et aussi aux vieilles dames de l’hospice qui ont accepté d’improviser.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°310-311, été 2007

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