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Slalom (2019)
de Charlène Favier
publié le mercredi 19 mai 2021

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2020, annulé (label)

Sortie le mercredi 19 mai 2021


 


Lyz a 15 ans, cet âge indécis, frontalier entre innocence et provocation. Dotée d’une énergie exceptionnelle, elle intègre la section ski-études du lycée Bourg-Saint-Maurice. Fred, son entraîneur, mise tout sur elle. Leur investissement commun leur apporte un succès grisant puis l’obsession de la réussite.


 


 

Le rapprochement excessif des corps est inévitable, les pulsions deviennent impérieuses et les violences psychologique et physique qui en découlent se font irrésistibles.

Naturellement, parce qu’il s’agit d’un premier film, la première question posée à Charlène Favier a été : "Est-ce autobiographique" ? Et la réponse, comme pour toute œuvre de création, a été : "Oui et non". La question est bateau et toujours limite voyeuriste, mais dans ce cas particulier, elle éclaire la naissance du film. En effet, Charlène Favier, photographe autodidacte, après un long projet (amorcé en 2014), a commencé par réaliser, en 2018, un court métrage sur son sujet, périlleux pour des raisons propres tout autant que parce qu’il était dans l’air du temps, une sorte de brouillon, voire de test : Odol Gorri (1). Son bon accueil l’a encouragée à persévérer dans le travail de création, et, par la même occasion, à l’approfondir, à la fois comme analyse d’un fait social refoulé, comme alerte militante et comme thérapie personnelle.


 

C’est que le film va plus loin que la simple dénonciation du harcèlement ou des classiques abus de pouvoir, dominations et autres dépendances. Il travaille l’énigmatique et majeure question de l’emprise, un vieux mot surgi sur le devant de la scène, plus riche que l’habituelle "influence", parce qu’il véhicule la notion flottante de "consentement". Même affirmé, le consentement n’est ni le désir ni la volonté. Il dévoile et illustre le gâchis que peut engendrer la soumission aux pulsions.


 


 

L’emprise entre deux êtres, phénomène de complicité s’il en est, peut s’installer dans n’importe quelle situation d’inégalité. Mais dans le monde du sport, elle semble pouvoir advenir de façon quasi naturelle, où corps à éduquer et esprit à former fusionnent dans l’idéal de compétition, puis dans les gratifications communes - et c’est sans doute pourquoi, elle est encore plus complexe et plus tabou que dans tout autre contexte.


 

Par exemple, ailleurs, le premier pervers narcissique venu commence par isoler sa victime pour pouvoir en jouer. Mais dans l’entraînement, l’isolement et le concentration sont nécessaires à la préparation. Liz est donc privée de références, d’échanges différents, de contre-pouvoir, c’est un prix à payer pour sa réussite et non pas une sanction.

Charlène Favier explique que Fred se trouve amené à user d’une "triple domination, celle de l’entraineur qui conduit à la réussite sportive, celle de l’adulte dont on doit suivre les règles, et celle de l’homme qui impose ses pulsions". Elle précise aussi que, pour elle, "tout part du corps" et elle cite Jacques Lecoq : "Il faut être dans l’acte comme le corps est dans le monde".


 

Le propos est étayé, par un récit extrêmement crédible. L’ambiance du groupe est captée justement sans cliché, les rapports de domination et de complicité, obligatoires entre coach et coaché(e), sont décrits sans poncif, la montagne joue un rôle plus puissant que celui de simple décor, jusqu’aux séquences de ski où on perçoit l’angoisse de l’attente du top départ en haut de la piste.


 


 

Surtout, le point de vue est toujours celui de la jeune fille, et son évolution est authentique : crainte initiale, fascination devant le maître, dégoût après la découverte du sexe, rejet final.


 


 

Du coup, le film s’avère ouvertement engagé et fait figure d’emblème devant un déni qui continue à s’imposer.

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Odol Gorri (Rouge sang), réalisé en 2018 par Charlène Favier, a été sélectionné dans de nombreux festivals, et nommé aux César 2020.


Slalom. Réal : Charlène Favier ; sc : C.F. & Marie Talon ; ph : Yann Maritaud ; mont : Maxime Pozzi-Garcia ; déc : Julie Wassef ; cost : Judith de Luze ; mu : LoW Entertainment. Int : Noée Abita, Jérôme Rénier, Marie Denarnaud, Muriel Combeau, Axel Auriant, Frédéric Épaud, Catherine Marchal (France, 2019, 92 mn).



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