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Goût de la cerise (le) (1997)
de Abbas Kiarostami
publié le mercredi 2 juin 2021

par Nadine Guérin
Jeune Cinéma n°246, novembre-décembre 1997

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1997
Palme d’or

Sorties le mercredis 26 novembre 1997 et 2 juin 2021


 


Au travers des oliviers en 1995 avait valu à son auteur la consécration internationale et un premier succès commercial. Deux ans plus tard, Le Goût de la cerise - qui a bien failli ne pas pouvoir quitter l’Iran - reçoit la Palme d’Or au Festival de Cannes, ex-aequo avec L’Anguille de Shohei Imamura.


 

Sur les traces d’un quinquagénaire désespéré, candidat au suicide, la dernière histoire filmée par le cinéaste iranien semble bien amère. À l’opposé de ses précédents films, les enfants ne jouent plus aucun rôle. Et l’homme, en proie à un accablement, une lassitude dont on ne sait rien, est déterminé à fermer les yeux, enseveli sous la terre. Ainsi recherche-t-il, moyennant finance, dans une scène d’ouverture plutôt intrigante, celui qui acceptera d’accomplir son vœu.
Au volant de sa voiture, il quitte la ville, traversant les collines sur un chemin de terre qui le mènera là où il a décidé de partir pour l’autre monde.


 

"La poésie mystique de l’Iran, affirme le réalisateur, est marquée par le voyage initiatique qui va vers l’accomplissement". La voiture, où Kiarostami a planté sa caméra, est alors bien plus qu’un moyen de locomotion pratique. Avec ses vitres qui reflètent le mouvement, elle ressemble à un habitacle intime, où l’on peut penser et, avec un passager, échanger des propos, recevoir des confidences.


 


 

Successivement, le conducteur croise un étudiant en théologie, un jeune militaire kurde, prêt à combattre en Afghanistan mais effrayé par la proposition insolite qui lui est faite. Pour le protagoniste, la vie doit être un choix, non une contrainte et la possibilité du suicide lui fait ressentir sa propre liberté. Aussi rient-il sûrement plus à la vie qu’il ne le dit. En témoignent ces appels à des inconnus qui refusent de lui rendre service, de même le lieu précis où il a choisi d’être enterré, à l’ombre d’un arbre solitaire au bord d’un chemin sans fin.


 

Difficile de ne pas évoquer la scène-clé du film Où est la maison de mon ami ? qui, en 1987, avait révélé Abbas Kiarostami : la course d’un écolier en direction d’un pin. (1)
Le cinéaste fut peintre d’abord et, au fil de son œuvre, nous invite à reconnaître, comme des signes, des plans-tableaux rigoureusement cadrés, composés.
Rien de gratuit dans ce récit très condensé où s’opposent la vie et la mort. À peine certaines scènes prennent-elles le pari de l’homme au pied de la lettre, quand la pelleteuse recouvre son ombre, quand encore l’image reste noire de longues secondes : allongé dans le trou, comme plongé dans un dernier sommeil, l’homme ne distingue plus la lune, cachée derrière les nuages.


 

Sur l’interprétation de son film en une métaphore de l’Iran - évoqué comme un chantier permanent, un "mouroir", un régime privé de liberté, une menace pour le cinéma -, Abbas Kiarostami ne dit rien.


 


 

Son personnage même reste jusqu’au bout une énigme. Finira t-il par se suicider ou sera-t-il sauvé ? La réponse importe peu puisque Kiarostami a toujours privilégié l’alternative, et avec elle, la liberté du choix pour la vie. Le vieux pelletier devenu taxidermiste est capable de redonner le goût du désir à celui qui l’a perdu.
L’épilogue filmé en vidéo six mois plus tard ressemble à une résurrection : l’arbre a refleuri et la vie ainsi continue.

Nadine Guérin
Jeune Cinéma n°246, novembre-décembre 1997

1. Où est la maison de mon ami ? (Khane-ye doust kodjast ?) de Abbas Kiarostami (1987) a gagné le Léopard de bronze au Festival de Locarno 1989. C’est son 17e film depuis 1970 (dont 10 courts métrages et 2 documentaires), et le premier à avoir été distribué hors d’Iran.


Le Goût de la cerise (A’m e guilass). Réal, sc, mont : Abbas Kiarostami ; ph : Homayun Payvar. Int : Homayun Ershadi, Abdolrahman Bagheri (Iran, 1997, 99 mn).



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