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Saveur des coings (la) (2019)
de Kristina Grozeva & Petar Valchanov
publié le mercredi 7 juillet 2021

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°404-405, hiver 2020

Sélection du Festival du film d’Arras 2019.
Atlas d’or du meilleur film, prix de la critique et prix du jury jeunes

Sortie le mercredi 7 juillet 2021


 


La sortie sur nos écrans d’un film bulgare est suffisamment rare pour être signalée.
La Saveur des coings, troisième long métrage du duo Kristina Grozeva & Petar Valchanov, illustre la vigueur retrouvée d’une cinématographie qui s’était effondrée après le tournant politique de 1989 et le passage du pays à l’économie de marché. Les deux cinéastes forment un couple à la vie comme derrière la caméra. Ils sont à la fois producteurs, scénaristes, dialoguistes de ce film dont Petar Valchanov signe aussi le montage.


 

On est, du reste, dans une histoire de famille. Le film s’ouvre sur une scène d’enterrement, celui de la mère. Un père demande à son fils d’ouvrir le cercueil de la morte et d’immortaliser son visage par un dernier cliché photographique. Le fils, dont on apprendra qu’il est photographe publicitaire, trouve l’idée saugrenue mais finit par s’exécuter. Sur cette thématique œdipienne, les auteurs amorcent le récit d’un deuil qui mêle le drame et la comédie.


 

Le paternel, septuagénaire de belle prestance, est, quant à lui, un peintre ayant réussi et sachant s’y prendre pour s’imposer. Le héros, d’une quarantaine d’années, est tout le contraire : il est effacé, malhabile, toujours ailleurs et à contretemps, y compris en retard à la cérémonie funèbre. L’accrochage se poursuivra, cette fois, au motif politique. Dans une autre séquence orageuse, le photographe reprochera au peintre son opportunisme, en l’occurrence de s’être fait passer pour un dissident alors qu’il était le fils d’un dignitaire communiste et qu’il gardait en poche sa carte du parti. Ceci dit, le photographe s’emploie à soulager la peine du père et à l’empêcher de déraisonner. S’inverse, dans une certaine mesure, le rapport d’autorité, lorsqu’il tente de prendre les choses en main. Le récit approche alors le surnaturel.


 

D’une part, le peintre cherche à entrer en communication avec l’au-delà, à garder contact avec son épouse dont il souhaite décrypter les derniers mots entendus par lui en rêve. Il va jusqu’à consulter un médium. Lui et son fils entament un périple sur les routes de campagne, dorment dans les bois, retournent en enfance. Le veuf devient à son tour imprévisible, disparaissant et réapparaissant sans cesse. Cela nous vaut des passages franchement hilarants - on pense à l’épisode au commissariat de police et à celui, naturellement, de l’hôpital psychiatrique. C’est l’occasion de découvrir une société figée dans des attitudes bureaucratiques, marquée par la corruption à l’ancienne, mais crédule et friande de magie.


 


 

Le film est brillamment interprété, aussi bien par Ivan Sanov, qui joue le père que par Ivan Barnev, qui fut le protagoniste de Moi qui ai servi le roi d’Angleterre de Jiří Menzel (2006). Kristina Grozeva & Petar Valchanov ne visent pas au classicisme. De fait, les prises de vue sont quelquefois floues et il arrive que l’image tremblote un peu. La bande-son est en revanche très soignée, sans autre musique que les voix des acteurs et des chants d’oiseaux surprenants, pour le moins insolites dans cette sonate d’automne.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°404-405, hiver 2020

* Le film a reçu le Globe de cristal au Festival international du film de Karlovy Vary 2019.


La Saveur des coings (Bashtata). Réal, sc : Kristina Grozeva & Petar Valchanov ; ph : Krum Rodriguez ; mont : Petar Valchanov ; mu : Hristo Kamliev. Int : Ivan Barnev, Ivan Savov, Tanya Shahova, Hrsitofor Nedkov (Bulgarie-Grèce, 2019, 87 mn).



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