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Possession (1981)
de Andrzej Zulawski
publié le mercredi 14 juillet 2021

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°136, été 1981

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1981

Sorties les mercredis 27 mai 1981, 11 septembre 2016 et 14 juillet 2021


 


La promotion du film de Andrzej Zulavski oriente le spectateur dans une mauvaise direction. Le titre Possession banalise l’œuvre en l’insérant dans un genre galvaudé, et l’affiche, fort belle, évoque à contre sens une femme fascinatrice, gorgone et piège. Le press-book emmitoufle l’œuvre dans un réseau d’alibis culturels mobilisant jusqu’à Saint Mathieu en renfort publicitaire. L’Évangile, quand il s’occupe de démonologie, déconseille d’exorciser un hôte démoniaque sous peine de voir accourir sept nouveaux squatters plus bruyants que le premier. Tout ceci s’interpose entre le spectateur et une œuvre forte qui, débarrassée de tout cet appareil protecteur, pourrait ébranler notre imagination secrète.


 


 

Le film a de beaux moments insolites, dus pour une bonne part à la générosité de l’actrice et à sa beauté visuelle. Isabelle Adjani, filmée d’en haut, infiniment triste, visage levé vers un Christ en croix, toute violette déjà, de ce violet couleur du mal, et abandonnée du dieu des gens normaux... Isabelle Adjani encore, secouée de folie dans un métro froid et vide comme l’enfer selon Bernanos... Certain regard "malin" vers son mari qu’elle accule à la violence... Toutes les scènes familières où le personnage s’efforce encore de jouer son rôle de bonne mère et ménagère alors que l’agitation des mains dénonce son affolement...
L’actrice a une manière navrante d’acquiescer de la tête, aux questions du mari en gémissant, comme si, devenue muette, elle ne pouvait plus communiquer avec lui que s’il devinait.


 


 

On a beaucoup aimé le thème ordonnateur du film - mais l’est-il vraiment ? - qui serait l’exploration entreprise coûte que coûte par une femme, et, après elle, par son mari, pour mettre au monde ce qu’elle porte en elle, comme un enfant à protéger et à aimer. L’analyse clinique de la jalousie du mari lorsqu’elle se déprend de lui prend un autre sens quand se révèle le caractère monstrueux de l’amant et l’effort insensé du mari pour accepter le monstre peut être interprété comme une métaphore sur l’amour qui accepte de ne plus posséder.


 


 

Monstre ou pas, le film serait alors un poème sur l’amour fou et le spectateur pourrait choisir entre l’interprétation rationnelle ou l’appel au surnaturel.
Ce qui peut être gênant, en revanche, ce sont les séquences d’horreur à répétition. Un regard peut être plus inquiétant que des giclées de sang, des mains coupées dans un frigo, un cadavre dans un bidet.
C’est aussi l’incohérence et l’arbitraire. Le personnage de la femme séduit par son courage à conquérir des espaces nouveaux, mais les scènes de possession la font revenir au personnage banal de la victime passive.


 


 

Sans parler de tout ce bric à brac, les scènes d’espionnage, les chaussettes roses, la jambe cassée de l’amie, autant de détails bizarres dont la suppression n’enlèverait rien à l’impact du film. L’inconnu surréel peut avoir une fonction de dépaysement dans un contexte réaliste en le rendant dérisoire. Mais pour nous prendre à ses pièges, il faut au film fantastique les mouvements sans secousses des fleurs vénéneuses ou des sables mouvants.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°136, été 1981


Possession. Réal : Andrzej Zulawski ; sc : A.Z. & Frédéric Tuten ; ph : Bruno Nuytten ; mont : Maris-Sophie Dubus & Suzanne Lang-Wilar ; mu : Andrzej Korzynski. Int : Isabelle Adjani, Sam Neill, Heinz Bennent, Margit Carstensen (France-Allemagne, 1981, 124 mn).


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