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Big Shave (the) (1967)
de Martin Scorsese
publié le lundi 8 août 2016

par Prosper Hillairet
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

Inédit en France


 

Pour saluer son cinquantenaire, Jeune Cinéma a posé une question à ses collaborateurs : Quel film des cent dernières années aimeriez-vous sortir de l’ombre ?
Ce film fait partie des hidden gem (re)découverts à cette occasion.


Salle de bains. Cuvette, toilette. Lavabo, miroir. L’eau goutte sur la bonde. Un inventaire du sain, du pur, de l’aseptique. Immaculé. Un monde sans trace humaine, a-humain. Chromé, qui se reflète en lui-même.


 


 


 

Un homme entre. Jeune, blanc. Se regarde dans le miroir, fait couler l’eau. Se couvre le visage de mousse. Blanche. Se rase. Un lieu, une situation. The Big Shave, le troisième film de Martin Scorsese, retrouve la simplicité des origines : des ouvriers marchent, un train arrive. Un homme se rase.


 


 

Une fois rasé, il se remet une couche de mousse sur le visage. Du sang apparaît. Rouge. La blancheur du sanitaire se macule. De coup de rasoir en coup de rasoir, le visage se couvre de sang. Des flots de sang, du cou au pied. Mais l’homme ne montre aucune réaction. Du sang, du rouge. Le rouge ne naît pas des écorchures du rasage mais de la surface de la peau. Il ne se rase pas, il se peint. Peau rouge.


 


 

Martin Scorsese a réalisé ce film dans le cadre d’une action contre la guerre du Vietnam. De ce contexte il reste sur le carton des crédits, la mention Viet’67. Mais il confia que son film reflétait aussi sa situation personnelle, séparé de sa femme : "Je campais dans des appartements vides et sinistres".


 


 


 

Souffrir, résister. La terreur et la blancheur. Jean-Pierrre Melville, crédité au générique de cette blancheur, la pose bien dans Moby Dick du côté de la terreur. The Big Shave est matrice du cinéma de Martin Scorsese : outre les thèmes du miroir et de la peinture, il est synthèse de l’Amérique pop et de la passion christique. L’impassibilté warholienne et le dolorisme buñuelien. Le mécanique et l’organique.


 


 

Expérimental ? Oui, car il y est question de cinéma : de la blancheur de la surface, peau, écran, pellicule. Blancheur, espace de coupure et de coulure. Fluide et découpé. Alors on pense à Psychose et sa séquence salle de bains aussi découpée, où la lame n’écorche pas, tout en surface et montage.
Sans oublier les deux petits fils rouge et blanc de La Dentellière de Vermeer.

Prosper Hillairet
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014


The Big Shave. Réal, sc, mont : Martin Scorsese ; ph : Ares Demertzis ; mu : "I Can’t Get Started" par Bunny Berigan (1937). Int : Peter Bernuth (USA, 1967, 5 mn).



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