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Rouge (2020)
de Farid Bentoumi
publié le mercredi 11 août 2021

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 404-405, hiver 2020

Sélection officielle au Festival de Cannes 2020 (label)

Sortie le mercredi 11 août 2021


 


Nour (Zita Hanrot) et son père Slimane (Sami Bouajila) sont les deux protagonistes de Rouge, second film du jeune réalisateur franco-algérien Farid Bentoumi, thriller socio-écologique en sélection officielle au Festival de Cannes 2020. Tourné à flanc de montagne, Rouge est librement inspiré de l’histoire de l’usine Altéo de Gardanne, qui, après des années, rejette aujourd’hui encore des déchets prétendus "aux normes" dans la Méditerranée.
Slimane, délégué syndical et soutien indéfectible de l’entreprise, affronte Nour, qu’il vient de faire engager comme infirmière. Deux métiers, deux générations, deux visions antagoniques du monde du travail et le conflit d’un père avec sa fille.


 


 


 

Farid Bentoumi compose un film choc, un face-à-face haletant, devant l’urgence de la situation sanitaire de l’usine et du rejet de boues rouges et toxiques qui polluent les eaux. Courageuse et assez inconsciente, Nour s’engage à combattre le mensonge et l’immobilisme qui maintiennent les ouvriers au travail dans des conditions sanitaires dangereuses, tandis que Slimane préfère temporiser, ne pas faire de vagues et sauvegarder les emplois.


 


 

L’intervention de la journaliste Emma (Céline Sallette) lors d’une réunion, conforte la démarche de Nour et elles se lancent toutes deux avec opiniâtreté dans la lutte. Le point de vue de Farid Bentoumi est convaincant. Aujourd’hui mobilisée et sensible à l’écologie, la jeunesse agit et combat face à la collectivité ouvrière plus âgée et contrainte au mutisme par peur du lendemain.


 

Le directeur de l’usine, magnifiquement interprété par Olivier Gourmet, impassible et silencieux, incarne parfaitement l’omerta organisée à partir de falsifications, de mensonges et de dissimulations de preuves. En revanche, ce qui pourrait dessiner une vision idéaliste du scénario un peu loin des réalités, c’est l’absence de luttes ouvrières, luttes qui, à Gardanne, ont duré plusieurs années avec l’appui de la population.


 

Farid Bentoumi fabrique un fort climat émotionnel, amplifié par l’accident de l’ouvrier, puis, plus encore, par la séquence du prélèvement nocturne d’échantillons de rejets, marquant l’issue de la relation houleuse entre le père et la fille. Le mutisme s’oppose à la parole, l’enfouissement de preuves à la mise à jour de la vérité. Une succession rapide d’images et un montage de plans rapprochés sur les regards interrogatifs, compassionnels et perdus de Nour et Slimane signent leur incompréhension mutuelle. Peu de dialogue, mais une grande expressivité, une capacité remarquable à saisir les émotions, l’évolution de la prise de conscience, comme un goût pour le silence et la lenteur à capter l’émergence de l’honnêteté sur un visage.


 


 

Le film affiche en outre, dans ce lieu extraordinaire, une dimension esthétique hors du commun, montrant l’architecture de l’usine rougie par les poussières et les boues comme la nature environnante, le lac rouge où croupissent les rejets toxiques, jusqu’aux arbres aux troncs également rouges et la robe de Nour, évidemment rouge en ce temps de révolte. Un film rouge. Rouge comme les rejets, la terre, le sang, rouge comme la colère de Nour face à la désinvolture et à la résignation.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 404-405, hiver 2020


Rouge. Réal, sc : Farid Bentoumi ; sc : Samuel Doux, Audrey Fouché, Gaëlle Macé ; ph : Georges Lechaptois ; mu : Pierre Desprats. Int : Zita Hanrot, Sami Bouajila, Céline Sallette, Olivier Gourmet (France-Belgique, 2020, 86 mn).



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