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Vivre ! (1994)
de Zhang Yimou
publié le mercredi 11 août 2021

par Hélène J. Romano
Jeune Cinéma n° 228, été 1994

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1994.
Grand Prix du Jury et Prix du meilleur acteur pour You Ge.

Sorties les mercredis 18 mai 1994 et 11 août 2021.


 


Avec Épouses et concubines, Zhang Yimou brossait un tableau riche et étouffant de l’ancienne Chine. Avec Qiu Ju, il abordait la Chine rurale et les tracasseries administratives auxquelles elle s’affrontait résolument. (1) Vivre !, c’est l’obstination d’un couple, comme des millions d’autres, à surmonter les épreuves d’un pays en guerre et en révolution permanente, pendant plusieurs décennies.


 

Le film commence avec la transition : Fugui, fils de famille, joue et perd au jeu tous ses biens, et aussi la riche maison où son père espérait finir ses jours. La salle de jeu est montrée comme un décor vorace, avec son ambiance rougeâtre, ses tables de joueurs acharnés. L’intrusion de Jiazhen, son épouse, qui tente de l’arracher à son hébétude, semble - volontairement - déplacée.


 


 


 


 

Après la mort de son père, l’expulsion de sa maison et l’abandon de sa femme, Fugui (prononcer Fou-Tcha) devient un homme comme les autres. Traînant un chariot derrière lui, où sont entassés quelques ballots, il semble un pierrot désarticulé, dans un vêtement trop grand. Rupture avec le passé. Il décide de travailler, de ne plus jouer (d’ailleurs, il n’a plus rien à perdre), et son épouse lui revient.


 


 


 

Là s’articule la seconde partie du film où l’histoire du pays et l’histoire du couple se fondent : c’est bientôt la guerre contre les troupes nationalistes de Chang Kaï Chek, puis la prise du pouvoir par les communistes, après la Longue Marche. Et, dans cette nébuleuse révolutionnaire, Fugui, doit, par la force des choses, faire partie des anonymes constructeurs du pays. Tout est montré, dans des teintes estompées, le travail quotidien, les tâches d’intérêt public, les cantines populaires, où seuls éclatent les drapeaux rouges et les portraits de Mao.


 


 

On voit arrêter des personnages qui, la veille encore, étaient respectés, et le gamin qui a jeté un plat de nouilles sur la tête d’un "méchant" est sommé de faire acte de réparation en public, sous peine d’attirer la réprobation de sa famille.


 

Quelques - rares - sourires, dans tout cela : "A quelle classe appartenons-nous, maintenant ?" demande Fugui à son épouse. "Masses-populaires", répond-elle d’un trait. Heureusement, pour une fois.


 


 

Mais on est loin du plan lumineux du champs de maïs au soleil levant, où Fugui marchait allègrement, à l’assaut d’une nouvelle vie, avec sa mallette de marionnettes : le théâtre d’ombres, si populaire autrefois, et même pendant la guerre (jusqu’au moment où une baïonnette vint trouer la toile de fond) devient un symbole de l’ancien régime et doit être brûlé.


 


 

Désormais l’unique raison de vivre du couple, ce sont les enfants, une fille qui, mal soignée, est devenue sourde et muette, et le petit garçon. Lorsque celui-ci, épuisé par le manque de sommeil, est victime d’un stupide accident provoqué par le meilleur ami de Fugui, la colère de la mère éclate : il y a trop de "fatalités".


 


 

Jiazhen, interprétée par Gong Li, si combattive dans Qiu Ju, est ici terne, comme estompée, impuissante. Après le répit heureux du mariage de leur fille avec un Garde Rouge, la fatalité pèse à nouveau : lors de l’accouchement de celle-ci, on ne trouve plus dans les hôpitaux de médecins confirmés, ils ont été emprisonnés, comme les intellectuels, et celui que l’on amène, mort de faim, s’écroule.


 


 


 

Zhang Yimou nous offre cette fois un tableau bien pessimiste, celui de l’usure et de l’impuissance de toute une génération de Chinois. Pourtant, il ne veut pas rester sur cette note noire, l’espoir renaît avec l’apparition d’un petit-fils, qui ressemble comme deux gouttes d’eau au fils disparu. Qui ressemble aussi au petit garçon du Cerf-volant bleu de Tian Zhuang, porteur de l’espérance d’une vie nouvelle.
Zhang Yimou et Gong Li envisagent de faire un film sur la Chine actuelle. Espérons qu’ils n’aient pas trop de difficultés.

Hélène J. Romano
Jeune Cinéma n° 228, été 1994

1. Épouses et concubines (Dà hóng denglong gaogao guà) de Zhang Yimou
(1991) a reçu le Lion d’argent à la Mostra de Venise 1991.
Qiu Ju, une femme chinoise (Qiū jú dǎ guānsī) de Zhang Yimou (1992) a reçu le Lion d’or à la Mostra de Venise 1992.


Vivre ! (Huo zhe). Réal : Zhang Yimou ; sc : Yu Hua & Lu Wei ; ph : Yue Lü ; mont : Yuan Du ; mu : Jiping Zhao. Int : You Ge, Gong Li, Wu Jiang, Tao Guo, Dahong Ni, Yan Su, Ben Niu (Chine, 1994, 129 mn).



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