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Delphine et Carole, insoumuses (2018)
de Callisto McNulty
publié le mercredi 6 octobre 2021

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle au Forum de la Berlinale 2019

Sortie le mercredi 6 octobre 2021


 


On avait découvert le film de Callisto Mc Nulty, au FIFF 2019 de Créteil, elle était présente, c’était le printemps, et un vent de nostalgie avait soufflé. C’était dans "le monde d’avant", comme on dit.
En cet automne 2021, on a pu constater que la pandémie et les confinements avaient révélé encore plus clairement l’état des lieux de la condition des femmes, dans le monde d’après, et ce n’est pas réjouissant. On regarde ailleurs, par exemple, vers le Texas, où le Heartbeat Act est entré en vigueur, ou bien vers le Brésil où, en moyenne, quatre petites filles, entre 10 et 13 ans, sont violées chaque heure, et six avortent chaque jour plus ou moins illégalement, ou encore à Kaboul, où, quel que soit leur âge, elles n’osent plus sortir de chez elles. On regarde aussi en France, où on parle de 60 000 femmes excisées, et on en est au 80e féminicide de l’année (en décembre 2021, on devrait atteindre les 102 de 2020). On est loin de la simple question du partage des tâches.


 


 

Alors que "les femmes", cela semble furieusement tendance dans les diverses programmations culturelles, même les plus averties d’entre elles, même les plus "libérées", même les femelles dominantes, même celles qui ont profité des quotas, même les plus "woke", même les fouetteuses, - peut-être même surtout les fouetteuses -, si elles ne se contentent pas des apparences, sont forcées de reconnaître au moins les inégalités sociales, et, au mieux les ravages de siècles de patriarcat planétaire dans les consciences, quels que soient leur genre précis (des consciences). La moitié du monde est toujours une minorité, et plus généralement, le féminin, c’est fait pour être en dessous.


 

Les femmes savent depuis longtemps qu’elles sont des collabos puisqu’elles aiment leurs maîtres et même parfois leurs bourreaux, ou que, si elles se rebellent, elles monteront sur l’échafaud d’une manière ou d’une autre. Elles s’arrangent de leur mieux avec ce paradoxe. Mais il y a pire : c’est comme si, les femmes étaient interdites d’avant-garde et de révolutions, y compris les culturelles, qui sont, encore et toujours au 21e siècle, faites par les mâles et pour les mâles. Dernier exemple en date, la vision d’un film d’un grand surréaliste tchèque : Les Fous (Šílení) de Jan Švankmajer (2005), d’après Edgar Allan Poe et le Marquis de Sade. La complaisance - et le plaisir - des répliques et des images font réaliser la perversité d’un système double bind.


 

Après Mai 68, les femmes et les "tantes" - comme les appelait Jean Genet -, étaient descendues dans la rue et récupéré des droits majeurs. C’étaient les précurseures de nos mouvements d’aujourd’hui. Le mouvement #Me Too a relancé bruyamment la machine - et tant pis pour les quelques bavures et dérives des réseaux sociaux -, les LGBTQIA+ se sont sophistiqués. Ce n’est pas rien comme avancée, ce surgissement des scandales souterrains et, par ailleurs, cette révélation que dans chaque être humain, corps et âme, le masculin et le féminin se marient de façon spécifique, à nulle autre pareille. Même si certaines, des "people" avec pignon, continuent à déclarer publiquement sans l’excuse de la jeunesse : "Je ne suis pas féministe, j’aime les hommes", témoignant ainsi de leur totale incompréhension d’un mouvement social majeur et inextinguible. (1)


 

Ce long préambule pour dire l’extrême plaisir qu’on prend à revoir (ou à découvrir) le deuxième documentaire de Callisto McNulty, Delphine et Carole, insoumuses. Née en 1990, elle est toute jeune, ce qu’elle raconte, elle ne l’a pas connu, c’est l’histoire de ses grands-mères, les "féministes historiques", elle l’a trouvée dans les archives, là où se nichent toujours les origines. (2)


 

Revoir Carole Roussopoulos (dont elle est la petite fille) et Delphine Seyrig et Ioana Wieder et toutes les autres grandes figures de l’époque, dans leur pleine jeunesse, c’est émouvant, c’est marrant aussi, c’est comme feuilleter un album de famille, quelques larmes, et surtout un grand enthousiasme pour l’éclat d’un monde plein d’espoir qui s’éloigne à toute blinde. En un temps où on a plus que jamais besoin de se redonner un peu de perspective historique, la fraîcheur de ces footages, c’est inimaginable.


 


 

Une bonne partie des documents est plus ou moins connue, mais l’entretien avec Carole Roussopoulos âgée est inédit. Et surtout, on découvre les extraits de films vidéo militants qui n’ont pas beaucoup circulé, à part Scum Manifesto et Maso et Miso sont dans un bateau, distribués confidentiellement). (3)


 


 

Ah, l’aplomb de Delphine Seyrig, ses interrogations, sa manière royale d’affronter ses contradicteurs phallocrates de base - le ministre qui l’accuse à la TV de "sexualité vagabonde" ! La belle ironie, celle qui tue le mal, elle a tendance à disparaître de nos jours, "on ne plaisante pas" avec de plus en plus de choses et avec de plus en plus de gens. Ce n’est pas pour autant qu’on les prend au sérieux, hélas.

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

* Le film a reçu notamment le Grand Prix de Genève au Festival du film et forum international sur les droits humains 2019, le Prix du public au Festival international de films de femmes de Créteil 2019, le Prix GNCR au FID de Marseille 2019, une Mention Spéciale du Jury documentaire au Festival international du film d’Amiens 2019.

1. Cf. la rubrique Féminisme sur le site de Jeune Cinéma.

2. Elles ont fondé, en 1975, le collectif Les Insoumuses, puis, en 1982, le Centre audiovisuel Simone-de-Beauvoir, avec pour objectif de mettre "au cœur de leurs objectifs la conservation et la création des documents audiovisuels recensés concernant l’histoire des femmes, leurs droits, leurs luttes, leurs créations".

3. S.C.U.M. Manifesto de Carole Roussopoulos & Delphine Seyrig (1976).
Maso et Miso vont en bateau du collectif Les Insoumuses (Nadja Ringart, Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig, Ioana Wieder) (1976).


Delphine et Carole, insoumuses. Réal : Callisto McNulty ; sc : C. Mc., Alexandra Roussopoulos & Géronimo Roussopoulos ; mont : Josiane Zardoya ; mu : Manu Sauvage. Avec Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig, Alexandra Roussopoulos, Ioana Wieder, Chantal Akerman, Maria Schneider, Simone de Beauvoir, Ellen Burstyn, Jane Fonda, Juliet Berto, Liliane de Kermadec, Marie Dubois, Marguerite Duras, Françoise Giroud, Anne Sinclair (France-Suisse, 2018, 70 min).



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