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Forest, Claude
Andrée Davanture, la passion du montage (2021)
publié le lundi 20 décembre 2021

par Claudine Castel
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

Claude Forest, Andrée Davanture, la passion du montage, L’Harmattan, 2021


 


Claude Forest, avec cette biographie touffue, truffée de notes et de références, poursuit une double visée : un exercice d’admiration et une visibilité offerte aux métiers techniques exercés par des femmes, celui de monteuse en étant l’exemple typique. Un tel ouvrage serait une entreprise sans antécédent.

Née Vincensini en Haute-Corse, en 1933, dans une famille nombreuse pauvre, Andrée Davanture hérite d’une culture ancrée dans le partage et la solidarité. Les femmes se singularisent par leur force de caractère, à l’instar de son aînée Noëlle, épouse de Jean-Pierre Chabrol. (1) Ils l’accueilleront à Palaiseau, dans leur maison ouverte aux intellectuels communistes et aux artistes (Aragon, Brassens, Costa-Gavras).

Jean-Pierre Chabrol lui présente Victoria Mercanton, une monteuse connue qui avait débuté sa carrière avec Boudu sauvé des eaux (1932). Elle fait partie d’un petit groupe de monteuses, Marguerite Houllé-Renoir et Suzanne de Troye, surnommées "les mémères" - O tempora o mores ! Elle lui propose de faire un stage au laboratoire LCM (tirage de films) puis de la prendre comme stagiaire, Andrée Davanture dira : "Elle savait que si elle ne m’aidait pas, personne ne m’aurait aidée, elle savait que je venais de nulle part".
La description de son apprentissage renseigne sur la formation technique et pratique du métier, les étapes qui la jalonnent : stagiaire, assistante et cheffe auprès de professionnels confirmés. Elle aura à cœur jusqu’à la fin de sa vie d’avoir à ses côtés des stagiaires et de perpétuer ce travail de transmission (Marie-Christine Rougerie, Rodolphe Molla, Claude Le Gallou, Barbara Bossuet, Jenny Frenk). Elle préfère déléguer le passage au numérique à Rodolphe Molla et si elle rechigne à utiliser le logiciel, son expérience du montage sur pellicule, loin d’être obsolète, lui permet de travailler avec le même brio.
Assistante-monteuse sur le court métrage de Yannick Bellon, Varsovie quand même (1954), elle enchaîne pour une trentaine de longs métrages avec Gabriel Rongier. Elle retrouve Victoria Mercanton sur une production franco-soviétique de Marcel Pagliero, Vingt mille lieues sur la Terre (1960). Puis, avec Anne-Sophie Dubus, sur quatre films de Robert Hossein. Dans Paris brûle-t-il ? de René Clément (1965), elle est affectée au montage des images d’archives - et contrainte par la Paramount de faire les démarches pour obtenir du CNC sa carte professionnelle, dont elle ne s’était jamais souciée.

Elle oriente sa carrière de cheffe monteuse vers l’ORTF, alors une télévision de réalisateurs formés pour la plupart à l’IDHEC. Elle monte des reportages pour Cinq colonnes à la Une et quatre documentaires pour Les Femmes aussi, une émission mythique de Éliane Victor. La rencontre de Ange Casta l’amène à monter Colomba (1968), une adaptation de la nouvelle de Prosper Mérimée dans le cadre de la Corse traditionnelle. C’est le prélude à une amitié doublée d’une complicité qui se poursuit avec La Guerre a vingt-cinq ans ou la vie quotidienne au Sud-Vietnam (1971), Gaza la drôle de paix (1972).

Elle revient au cinéma (1967-1974) avec quatre films dont deux avec Bernard Queysanne, L’Homme qui dort (1974) (2), son premier "film d’auteur", aux antipodes des films commerciaux. La rencontre de Lucien Patry lui révèle le cinéma africain : J’ai vu Borrom Sarret de Sembene Ousmane, et je me souviens d’avoir pleuré". (3)
Elle est engagée au Bureau du cinéma, sous tutelle du ministère de la Coopération. Après l’indépendance des pays d’Afrique orientale et occidentale, le pouvoir gaulliste veut garder son influence par une politique d’aide au développement, maître-mot, de la francophonie. Assistée de Marie-Christine Rougerie, elle mit toute son énergie - avec peu de moyens - à soutenir l’émergence des cinémas africains. Les films étant développés en France, les réalisateurs ne pouvaient rectifier les plans défectueux. Elle a sauvé des films au montage : Muna moto de Jean-Pierre Dikongué Pipa (1975), dont des images étaient désynchronisées ou dénuées de son ; La Fille (Den muso) de Souleymane Cissé (1975), dont la pellicule 16 mm était rayée, avec des scènes incomplètes. Le montage avec les réalisateurs fut et une maïeutique et un stage (souvent épuisant) de formation au cinéma. Un incendie et le désintérêt du ministère eurent raison de l’expérience : le financement fut soudain arrêté.

Pour terminer les projets en cours, Atria est créée et Atriascope (coopérative ouvrière) montée pour la production par sa fille, Claire Davanture. C’est un espace avec cinq salles de montage où l’on œuvre à toutes les étapes de réalisation d’un film. Malgré le travail accompli - voir la filmographie impressionnante des p. 420 à 440 - et des prix en festivals, le ministère coupe sa maigre subvention en 1998.
Les entretiens de la dernière partie dessinent le portrait d’une grande dame (disparue le 1er juillet 2004), remarquable de générosité et de curiosité, et qui excellait dans le montage, cet art de l’image et du son.

Claudine Castel
Jeune Cinéma n° 412, décembre 2021

1. Jean-Pierre Chabrol (1925 -2001).

2. Un homme qui dort de Bernard Queysanne (1974) a reçu le Prix Jean-Vigo 1974. Le roman de Georges Perec dont le film est une adaptation, est paru en 1967, chez Denoël.

3. Borrom Sarret (Le Charretier) est le premier film de Sembene Ousmane (1963), c’est un court métrage.


Claude Forest, Andrée Davanture, la passion du montage, coll. Images plurielles, Paris, L’Harmattan, 2021, 427 p



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