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Tromperie (2021)
de Arnaud Desplechin
publié le mercredi 29 décembre 2021

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle Cannes Première au Festival de Cannes 2021

Sortie le mercredi 29 décembre 2021


 


Il s’agit de l’adaptation au cinéma d’un livre qui, selon son propre aveu, accompagne Arnaud Desplechin depuis des lustres : il avait tenté en vain de le porter au théâtre, l’avait offert en cadeau à ses collaborateurs pendant le tournage de Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), (1) et l’avait même inclus dans le bonus du DVD de Rois et reine, (2) où il jouait la scène finale avec Emmanuelle Devos. Ce livre, emporté avec lui pendant trente ans, c’est Tromperie de Philip Roth (3), qu’il a décidé d’adapter à l’écran avec l’aide de Julie Peyr pour le scénario - alors que le monde entier était alors confiné. C’est ce confinement, à l’image de ce que vit l’écrivain du livre, qui va lui donner la force de le faire, justement parce qu’il vivait alors presque la même situation.


 

L’adaptation d’un livre au cinéma est toujours périlleuse, surtout si le réalisateur lui voue une adoration certaine. De plus, Tromperie, est le récit d’un enfermement, d’une rêverie autour des femmes aimées, d’une sorte de travail dans un bureau de psychanalyste. La lumière et les images de Yorick Le Saux y sont pour beaucoup, évoquant par moment le beau travail de Éric Gautier sur le set de Intimacy de Patrice Chéreau (4). Sans oublier non plus le jeu des acteurs même s’il faut accepter comme préalable que Denis Podalydès puisse incarner un écrivain juif américain de génie, dévoré par une sorte d’érotomanie, et qu’il puisse vivre des après-midis de passion et de discussion enflammée avec Léa Seydoux. La pilule est un peu difficile à avaler, même si le réalisateur a pensé à modifier, très légèrement, en lui noircissant les sourcils, le visage de l’acteur.


 


 

Mais soit, poursuivons. Huis-clos, érotisme, manipulation, tous ces sentiments, toutes ces situations aboutissent à un long monologue, parfois passionnant, parfois ennuyeux, pour définir un monde intellectuel des années précédant la chute du Mur. Un monde entre-deux, un monde-voyageur, qui s’étend entre l’Amérique (par téléphone), Londres, Paris et Prague pour des intellectuels bourgeois désœuvrés qui s’amusent de la trahison et de la confusion des sentiments.


 

Il est pourtant des moments qu’on n’est pas près d’oublier, notamment la prestation de Emmanuelle Devos, vraiment bouleversante, recluse dans sa chambre d’hôpital à New York et à qui l’écrivain téléphone. À ce sujet, n’a-t-elle pas déclaré à Arnaud Desplechin : "J’adore Rosalie, c’est la seule à laquelle il arrive quelque chose, puisque je suis en train de mourir". Les autres femmes sont aussi parfaites dans leur rôle, notamment Léa Seydoux qui, selon le réalisateur, "a le don de pouvoir avoir les larmes qui lui montent aux yeux comme un enfant en bas âge, et c’est une bénédiction". Il faut dire qu’elle ne s’en prive pas, tout comme Anouk Grinberg excelle dans les cris et chuchotements pour illustrer sa souffrance d’épouse trompée et bafouée.


 

Ce film est présenté sous forme de fragments, en "collection d’épiphanies" comme le dit joliment Arnaud Desplechin, entre Ingmar Bergman et Franz Kafka, le maître de Philip Roth, dont on aperçoit le portrait à plusieurs reprises et auquel le procès du film fait bien sûr référence. Finalement, Tromperie, s’avère être un bel hommage au livre, mettant en scène un auteur amoureux des femmes, mais surtout de leur parole. "Là où d’autres auraient demandé que la femme fasse preuve de son excellence, Philip, lui, accueille chacun des mots de son amante comme un trésor. Un mari infidèle, un souci d’argent, une grosseur sur le col de l’utérus… Et cette attention modeste à l’intime, à la blessure la plus ténue, me bouleversait".

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) de Arnaud Desplechin (1996) est son deuxième film, après La Sentinelle (1992).

2. Rois et reine (2004) est sortie en DVD chez Why Not Productionsen 2005.

3. Philip Roth, Deception, New York, Simon & Schuster, 1990. Tromperie, traduction de Maurice Rambaud, Paris, Gallimard 1994.

4. Le directeur de la photographie Éric Gautier a travaillé avec Patrice Chéreau sur 4 de ses 11 films, et, notamment sur son film franco-britannique Intimité (Intimacy) (2001). Il a aussi souvent travaillé avec Arnaud Desplechin sur La Vie des morts (1991), Comment je me suis disputé... ("ma vie sexuelle") (1996), Esther Kahn (2000), Rois et Reine (2004) et Un conte de Noël (2008).


Tromperie. Réal : Arnaud Desplechin ; sc : A.D. & Julie Peyr, d’après le roman de Philip Roth ; ph : Yorick Le Saux ; mont : Laurence Briaud ; mu : Grégoire Hetzel. Int : Denis Podalydès, Léa Seydoux, Emmanuelle Devos, Anouk Grinberg, Miglen Mirtchev, André Oumansky (France, 2021, 105 mn).



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