Annecy italien 2001 I
publié le lundi 5 janvier 2015

Annecy 2001, 2-9 octobre 2001, 19e édition

La compétition
par Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°275 mai 2002

L’événement de la 19ème édition des Rencontres a été sans conteste la présence de Nanni Moretti avec la projection de l’ensemble de son œuvre.
Ses prises de position courageuses devant les dangers réels guettant l’existence même du cinéma italien, avec la politique culturelle de Berlusconi, ont alerté toutes les forces progressistes, d’autant plus que, fin février 2002, le ministre des Biens culturels, Giulano Urbani annonçait la réduction de près de la moitié des aides de l’État.

Mais revenons au cinéma qui se fait encore, mis en valeur par le travail de fond effectué à Annecy depuis près de vingt ans.

Sole negli occhi d’Andrea Porporati a obtenu deux prix, mais ce film ne nous laissera pas un grand souvenir tant ses intentions sont obscures, comme le sont les motivations du personnage principal.
Marco, jeune homme mal dans sa peau - Fabrizio Gifuni, dans le rôle en rajoute à l’excès - est en pleine crise existentielle. Un jour, il tue calmement son père, sans raison apparente. Toute la problématique du film tourne autour de ce postulat, sous forme de question : pourquoi donc ai-je tué mon père ?
Bien sûr personne ne croit à sa culpabilité : Rinaldi le policier de service fin psychologue et son amie, n’arriveront pas à le faire sortir de son mutisme. Chacun sait que nous avons tous une zone d’ombre, explique le réalisateur.

Paolo Modugno scrute lui aussi cette zone d’ombre avec Territori d’ombra  (Zones d’ombres), où il aborde le délicat problème de la pédophilie.
Le film fonctionne sur trois niveaux : d’abord l’existence de réseaux faisant le trafic d’enfants, de cassettes dans le nord de l’Italie : voir Laurent Terzieff en chef de gang, Levantin de surcroît, est une petite curiosité.
Ensuite les problèmes d’un grand-père, ayant la garde de sa petite-fille, dont le comportement dérivera par trop d’affection, comme il le dit.
Enfin le rôle de trois personnages : un procureur de la République, pas très clair dans ses intentions, un avocat œuvrant pour abattre les réseaux pédophiles avec l’aide de Luca, jeune homme victime d’abus sexuels dans son enfance.
Le film se veut un violent réquisitoire contre "la bête immonde" que représente la pédophilie. Tout ceci est fort louable, à dénoncer bien sûr, mais l’accumulation systématique de situations alourdit le propos. D’autre part le réalisateur crée l’amalgame en mettant sur le même plan la scandaleuse exploitation des enfants par des réseaux très bien organisés, et la dérive, certes condamnable, d’un grand-père en mal d’amour.

Pour quitter cette atmosphère pesante voire malsaine entre meurtre du père et univers abject Se fossi inte  (Si j’étais à ta place) de Giulio Manfredonia nous entraîne, par le biais d’une petite comédie sans prétention mais alerte, dans la réalité quotidienne que trois personnes refusent.
Leur seul moyen pour y échapper, c’est d’échanger leur personnalité.
Andrea, le brave petit fonctionnaire étouffant dans le carcan familial, se met dans la peau de Christian animateur de boîtes de nuit ; ce dernier réalise enfin son fantasme : devenir patron d’une grande entreprise, en prenant la place de Bebo, lui heureux d’être entouré de l’affection de sa petite famille (celle d’Andrea). Le comique naît de ses situations inversées, mais progressivement le rythme ralentit et chacun reprend sa place initiale.

On a pu voir à Annecy, lors des éditions antérieures plusieurs longs métrages, traitant de différentes manières l’arrivée parfois massives d’émigrés, de réfugiés venus des ex-pays du bloc communiste, en particulier d’Albanie.

Avec Occidente, Corso Salani, aborde la difficile condition de réfugiée vécue par Malvina, jeune Roumaine au lourd passé politique - elle a pris une part active à la chute de Ceaucescu en 1989.
Elle atterrit à Aviano. Le choix d’Aviano n’est pas fortuit ; importante base aérienne américaine, ancien bastion avancé du bloc occidental, cette petite ville du Frioul est le lieu de toutes les rencontres. Alberto, jeune professeur en poste dans cette localité aux distractions limitées, où chacun se sent un étranger, remarque assez rapidement Malvina devenue serveuse dans un restaurant fréquenté par les américains. De cette rencontre, Alberto ne sortira pas indemne, en découvrant le drame existentiel que porte en elle Malvina, drame qu’a vécu la société roumaine. Quoique l’histoire des relations Alberto-Malvina paraisse bancale et malgré un certain étirement de la narration, Occidente nous confronte à la douleur de l’exil.

Deux films méritent une attention particulière :

* L’uomo in piu, d’un jeune réalisateur de trente ans, Paolo Sorrentino (voir JC n° 270). Sorrentino, joue sur le thème du double, les deux personnages homonymes : Antonio Prisapia suivent la même courbe du succès facile, puis du déclin, de la chute inéluctable. L’un, Tony est un chanteur à succès détruit par son penchant pour les jeunes femmes, l’autre, footballeur professionnel réputé, décrochera après une grande blessure. Le film est intelligent, tant par sa structure que par son contenu original, et annonce un cinéaste prometteur.

* Lunga, lunga, lunga notte d’amore, de Luciano Emmer.
Luciano Emmer, d’une figure emblématique du néoréalisme, effectue là son retour en force à plus de quatre-vingts ans, retour amorcé dès 1987.
Emmer, c’est évidemment Domenica d’agosto (Dimanche d’août), qui en 1949 a marqué bien des générations de cinéphiles. Il sait parler des femmes, à qui il exprime son affection, son amour. Dans l’immense ville, nous suivons les destins croisés de cinq d’entre elles : Irène (Marie Trintignant), Elena (Isabelle Pasco), Egle (Ornella Mutti), Carla (Marina Confalone), Teresa (Silvia De Santis), si différentes et si proches à la fois. Avec infiniment d’élégance, d’amour pour ses personnages, sans complaisance ni amertume, Lunga, lunga, lunga notte d’amore est un véritable hymne à la vie.

Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°275 mai 2002

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