Annecy italien 2001 II
publié le lundi 5 janvier 2015

Annecy italien 2001, 2-9 octobre 2000, 19e édition

Le festival à vol d’oiseau
par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°275 mai 2002

Pour écouter un Nanni Moretti décrispé parler au public, et voir un Ettore Scola, flanqué d’un petit-fils, savourer une standing ovation dix minutes durant, la presse quotidienne était venue en masse et jubilait. La presse italienne s’entend, puisque, Michel Ciment excepté, la française était absente. La seule fausse note est venue des prix attribués par le jury international aux plus mauvais films d’Annecy.

Voici donc notre palmarès à nous (outre l’évident L’uomo in piu, de Paolo Sorrentino (voir JC n° 270). Ainsi que quelques paroles de leurs réalisateurs.

Un delitto impossibile d’Antonio Grimaldi.
C’est un film policier anomal qui traite d’une enquête menée à Sassari en Sardaigne, portant sur la mort par empoisonnement d’un procureur. Le substitut de la victime nomme bizarrement comme enquêteur un vieux juge de Palerme proche de la retraite et déjà sur la touche (Carlo Cecchi).
C’est d’abord le portrait d’une ville avec ses secrets, ses rumeurs, ses silences, qui se reflètent en miniature dans le cercle du corps judiciaire et policier local. Le vieux juge se sent manipulé par le procureur, surveillé par son chauffeur, mis à distance par ses témoins. La stratégie narrative choisie par Grimaldi démultiplie la perplexité du spectateur mené de fausses pistes en surprises qui reviennent en boomerang sur des enquêteurs finalement enquêtés.

Antonio Grimaldi : "Le film est inspiré d’un livre écrit par un juge. L’histoire était intrigante et surtout elle était située dans ma ville, Sassari, où j’ai vécu pendant 25 ans ; c’était l’occasion d’éviter tous les clichés sur le Sud, la beauté de la mer, etc. Le couple Carlo Cecchi et Ivano Marescotti, qui fait le procureur douteux, confronte des antagonistes. Marescotti est un acteur-caméléon qui s’adapte à n’importe quoi ; il convenait à ce personnage qui porte un masque et cache les secrets de la ville. Cecchi c’est le contraire, il reste toujours Cecchi. Il n’a jamais l’air concerné, ni comme personnage, ni comme acteur. Il n’a jamais joué dans un film policier, il ignorait tout de la Sardaigne et de Sassari et comme on a tourné dans l’ordre chronologique, il a découvert en même temps la réalité de la ville et de la fiction. Il est devenu progressivement le juge qu’il interprète.
Le plaisir de filmer, c’est celui de traduire un texte en images. J’ai supprimé la voix off du livre qui révélait le trouble croissant du juge et j’ai tout fait passer par les visages. Quand on révèle la sexualité du juge, il fallait tenir compte de l’époque et du lieu, resté, en 1970, très arriéré. La découverte de la peinture dans la vieille maison qui vous a fait penser à Visconti est plus modeste, c’est Dario Argento, et ce qu’on croit un souvenir de tableau et qui est le reflet d’un miroir m’a servi de modèle".

Hotel Datji de Carmine Fornari raconte une double recherche d’identité, celle d’un orphelin en quête de famille et celle d’une vieille femme malade qui attend pour mourir d’avoir retrouvé l’enfant de son amant disparu.
Fornari nous balade à toute vapeur entre 1999 et 1938, entre les Pouilles et l’Albanie, une Albanie sans la misère sale et le commerce des enfants, où le beau monde d’avant-guerre s’amuse dans les fastes d’un bel hôtel. Rien ne vient jamais indiquer une date, un pays, un état d’âme, la raison d’une panique, bref le récit nous perd comme dans un rêve du petit matin ou la fin d’un film pris en cours de projection. La splendeur des spectacles de magie, l’étincellement des lumières, la lévitation de la jeune Sara, les attractions de l’hôtel Datji devant un public insouciant sont le reflet d’un amour fou et les applaudissements, la joie, l’admiration d’un public fasciné est un hommage aux jeunes comédiens amoureux.

Carmine Fornari : "Vous me demandez pourquoi j’ai préféré parler d’une Albanie magique qui date d’avant-guerre et qui s’oppose aux images grisâtres de l’époque communiste, sans compter l’Albanie de maintenant.
Cette Albanie de 1938, c’est celle que mon père me racontait tous les soirs pour m’endormir, en décrivant l’hôtel qu’il avait connu et les spectacles des magiciens qui l’avaient enchanté. C’était pour moi comme un conte de fée".

Alla rivoluzione sulla due cavalli, de Maurizio Sciarra, Grand prix de Locarno et maltraité par la presse, est un film "populaire" généreux et émouvant.
L’évocation de la révolution des œillets qui libère sans coup férir ni sang versé un Portugal asservi est l’occasion de montrer comment le réveil de l’histoire peut, six ans après 68, réunir trois amis séparés et devenus sages. Le road movie commence à Paris et finit à Lisbonne via la France profonde, l’Espagne franquiste et un Portugal encore méfiant. Il est prétexte à une série d’épisodes cocasses ou dramatiques comme la halte dans le ranch d’un franquiste pur et dur, mais fanatique des 2 CV, ou l’arrestation à la frontière par des capitaines encore prudes.
Le film s’achève sur un gag ironique dans une capitale vide, sans traces de révolution ou d’enthousiasme. Belle abstinence qui parle plus de l’illusion lyrique que de la révolution en marche. Mais Sciarra retrouve dans l’épisode qui fait écho au prologue la double "vieille mémoire" des émigrés en exil et de ceux de l’intérieur, auxquels Georges Moustaki, le vieux poète portugais qui hante les bords de la Seine, et Francisco Rabal, le reclus de Lisbonne, prêtent leurs traits vieillis et usés.

Maurizio Sciarra : "Je n’ai pas compris la querelle soulevée à Locarno par les deux jurés qui ont rendu public leur désaccord sur le prix attribué, comme si un vote sans unanimité était exceptionnel. Je suis très fier du prétexte : "On ne doit pas couronner un film populaire".
Moi je veux être un cinéaste populaire. La plus grande difficulté du film, situé en 1974, ça a été d’évoquer une époque trop rapprochée et pourtant très marquée par les modes, et la manière de parler. Ce que j’ai pu faire, c’est donner, en utilisant la caméra digitale, un équivalent du passage aux caméras légères des années soixante-dix et aussi, ce que vous avez remarqué, faire allusion dans la première partie au cinéma de l’époque.
Vous parlez du pont en face duquel Bertolucci a filmé son Dernier Tango à Paris, il y a aussi les quais de Seine, la séance avec le film de Glauber Rocha au Ranelagh, un cinéma mythique qui existe encore comme théâtre, et où a l’époque l’on s’empoignait dans la salle. L’enfant qui passe dans la rue et qui fauche des photos serait-il un petit Truffaut ? Pourquoi pas ?".

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°275 mai 2002

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