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Vedette (2021)
de Claudine Bories & Patrice Chagnard
publié le mercredi 30 mars 2022

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection ACID au Festival de Cannes 2021

Sortie le mercredi 30 mars 2022


 


C’est l’histoire d’une vache.
Nous autres, urbains, on s’en fout un peu des vaches, et on a bien l’impression qu’elles aussi se foutent de nous, c’est plutôt les trains qu’elles regardent en ruminant, plus semblables aux bœufs indifférents, qu’aux taureaux, braves, nobles, ceux qui ont de la caste et nous ont longtemps passionnés. Toujours la même chose d’ailleurs, c’est du côté du couillu que quelque chose se passe, la guerre avec héros, la compétition avec distribution des prix, la dialectique avec antithèses musclées. La paix, étale, heureuse, n’a pas d’histoire, juste des cycles et des saisons, alors on s’ennuie.
Mais voilà, ça ce sont les apparences, celles des clichés paresseux dans lequel se vautrent les Terriens dominants. Et peut-être que c’est en cela que Vedette, le film de Claudine Bories & Patrice Chagnard est si lumineux : il va au delà du lieu commun.


 

C’est aussi l’histoire d’une fraternisation.
La vache en question vit avec ses congénères, dans une haute vallée des Alpes suisses, dans son troupeau. Mais elle n’est pas comme les autres, elle a gagné tous les concours, elle domine, elle intimide, c’est la reine de l’alpage. Elle s’appelle Vedette. Ses deux éleveuses, Élise et Nicole, l’avaient repérée dès son acquisition. Elle est vieille maintenant, et quand elles la confient aux deux réalisateurs pour l’été, elles savent qu’ils vont faire une vraie rencontre.


 

C’est ainsi que, confrontés à l’inquiétante étrangeté de ce corps paradoxal, noir massif qui ne connaît pas sa force, avec des yeux d’une ineffable douceur, ils vont découvrir ce que tout éleveur sait, même passé du côté de l’industriel, que chaque troupeau veut une hiérarchie "qu’ensuite les vaches passent leur vie à contester", que chacune a une personnalité, et des goûts bien à elle - par exemple certaines aiment l’oseille sauvage, d’autres non.


 

Petit à petit, ils vont aussi distinguer et reconnaître chacune des "animales". Quant à la valeureuse Vedette, elle mérite plus qu’une simple reconnaissance, qu’on la touche, qu’on lui parle, qu’on l’apprivoise. Claudine Bories s’y applique. La femme et la bête deviennent amies, filmées par Patrice Chagnard, qui trouve que la vache prend la lumière comme un star. Quand Vedette reconnaît bien le son de sa voix, Claudine entreprend de lui lire du Descartes : "Non seulement les animaux ne vivent que pour le bien de l’homme, mais en plus ils ne ressentent rien. Ils ne sont que de simples machines faites par Dieu, des automates qui ressentent ni plaisir, ni douleur". Apparemment toutes deux contestent.


 


 

Ce documentaire, qui aurait pu être une sorte de manifeste animaliste, se révèle, plein d’humour et d’intelligence, un conte philosophique et politique d’aujourd’hui, qui éclaire les nombreux éléments encore obscurs d’un débat d’actualité : le rapport de plus en plus lointain de l’espèce humaine au vivant, dont elle fait pourtant partie. Un conte avec une morale : Le vivant demande le respect. S’il est de moins en moins vécu et pratiqué, même entre humains, le mot a encore du sens. C’est ainsi qu’est évoquée l’humiliation de Vedette, devenue vieille et malade, de se faire éclipser par les jeunettes qui la concurrencent. Ou simplement le questionnement sur le droit de l’euthanasier.


 

Claudine Bories est une documentariste qui s’est formée dans les meilleurs milieux : le TNP de Jean Vilar, les théâtres de Bernard Sobel et de Gabriel Garran, celui de Armand Gatti, et même le cinéma de Philippe Haudiquet. Patrice Chagnard a une formation philosophique et une expérience de grand voyageur hippie, documentariste aventurier. Ils se sont rencontrés en 1995, et cosignent, depuis 2005, des documentaires engagés et remarqués. (1)
Avec Vedette, il semble qu’ils aient trouvé le terrain commun le plus à même de réunir à la fois leurs deux sensibilités, et l’intervention politique la plus pertinente, celle du long terme. Ils sont tous deux des coureurs de fond.

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le dernier en date, Nous le peuple (2019), a été sélectionné à Lussas, à Douarnenez et à La Rochelle.


Vedette. Réal, sc : Claudine Bories et Patrice Chagnard ; ph : Patrice Chagnard ; mont : Émeline Gendrot ; mu : François Macherey (France, 2021, 100 mn). Documentaire.



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