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Une jeunesse allemande (2015)
de Jean-Gabriel Périot
publié le mercredi 30 mars 2022

Retour sur les années de plomb et une certaine jeunesse allemande
par Daniel Sauvaget
Jeune Cinéma n°369-370, décembre 2015

Sélection Panorama à la Berlinale 2015

Sortie le mercredi 14 octobre 2015


 


Un documentaire récent nous incite à revenir sur lesdites "années de plomb". Une période d’attentats terroristes, dit-on, ainsi nommée en référence au titre d’un film allemand écrit et réalisé par Margarethe von Trotta, Les Années de plomb (Die Bleierne Zeit), il y a plus de trente ans. Le schéma qui s’est vite répandu notamment en Italie, mais dans un sens assez détourné. Car dans le pays où l’œuvre a été couronnée d’un Lion d’or vénitien en 1981, les "années de plomb" sont pour les journalistes et historiens le temps de la stratégie de la tension (attentats d’extrême droite et manipulations dans les hautes sphères politiques) et de la violence d’extrême gauche qui a culminé avec l’affaire Aldo Moro en 1978, bien qu’elle se soit encore prolongée dans les années 1980.
Du mot plomb, les Italiens ont retenu le sens de projectile plutôt que celui du lourd passé qui a pesé sur les jeunes Allemands d’après-guerre. Ce qui était le fondement de l’approche du phénomène terroriste par la cinéaste. Le film qu’elle tourne en mars-avril 1981 est en effet comme placé sous l’épigraphe d’un vers de Friedrich Hölderlin évoquant le ciel couvert, gris, gros de malheurs. Il s’agissait pour elle de qualifier la chape de plomb (de plomb, en effet) qui a pesé sur une partie de la jeunesse allemande des années 1950-1960, révoltée par le silence sur le passé nazi, le brouillage de l’information, l’absence d’authentique confrontation des générations précédentes - et la bonne conscience du miracle économique allemand.


 

C’est ce chapitre de l’histoire de l’Allemagne (de l’Ouest) que documente le film de Jean-Gabriel Périot, Une jeunesse allemande, qui porte d’abord sur l’émergence de la contestation, de formes politiques gauchistes et extra-parlementaires, qui étaient bien vivantes à Berlin. Révolte d’une génération intellectuelle incarnée dans le film par Ulrike Meinhof (née en 1934, elle est la plus âgée de tous les protagonistes), qui, journaliste et activiste, passe de la théorie à la pratique terroriste. C’est, plus particulièrement, la genèse de la Rote Armée Fraction (Fraction Armée Rouge), la "bande à Baader", comme on disait.
Même si le documentaire se concentre sur la période qui s’étend de 1970 (passage à la violence) aux événements de 1977, il s’agit bien, comme dans la fiction de Margarethe von Trotta, qui s’appuie sur la fiction des sœurs Ensslin, de mettre en perspective les sources et la genèse de ce qui a été initié par de simples proclamations et par des démonstrations de rues, avant d’enchaîner avec des attentats contre des bâtiments et des hommes qui symbolisent le pouvoir, contre l’armée américaine et les appareils d’État. Jean-Gabriel Périot ne va guère au-delà de la mort des principaux protagonistes (et de l’automne allemand, 1977), bien que de nouveaux assassinats aient été perpétrés plus tard, en 1985, 1986, 1989 ou 1991, alors même qu’une dizaine de membres de la RAF s’étaient déjà enfuis en RDA, quelques autres se cachant en France ou en Grande-Bretagne. Le film a ses héros, qui sont les terroristes de la première et de la deuxième génération. Selon le témoignage d’une survivante du groupe, Astrid Proll, (1) il ne s’agissait guère que d’une trentaine d’individus.


 

En exploitant quelques débats de cette télévision allemande, au ton toujours solennel, dans lesquels s’était illustrée Ulrike Meinhof dès 1965, puis grâce à de brèves citations de reportages TV, et surtout grâce à des extraits de films d’agitation militante des années 1967-1969, Jean-Gabriel Périot offre une chronique froide, sans commentaires en voix off, qui illustre la thèse centrale aujourd’hui communément admise d’une révolte contre des autorités décrédibilisées, contre des institutions figées et un pouvoir d’État oppressif : "Nous n’avons pas inventé la violence, nous l’avons rencontrée", déclaration de Ulrike Meinhof reprise dans le film, revendiquée par Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Thorwald Proll, Horst Söhnlein (un acteur de Munich qui avait fréquenté la bande de Rainer Fassbinder,) protagonistes de la première action violente, menée en avril 1968 contre deux grands magasins de Francfort après leur fermeture. Ils entendaient protester ainsi contre la guerre au Vietnam. Cet incendie leur valut une première condamnation à la prison. C’était quelques jours avant la tentative d’assassinat contre Rudi Dutschke.


 

Engagés contre la guerre au Vietnam, des poseurs de bombes causèrent plusieurs morts en 1972 dans les quartiers de l’armée américaine de Heidelberg et Francfort - épisodes négligés par le film, comme le séjour dans un camp palestinien des dirigeants de la RAF en 1970. Ces jeunes révoltés, qui s’étaient instruits dans les théories révolutionnaires de ces années 1960 - un simple vernis pour certains, un investissement théorique profond pour d’autres -, s’élèvent aussi contre les médias conservateurs, le sensationsjournalismus, les tabloïds dénoncés avec constance par des intellectuels comme Heinrich Böll - cf. L’Honneur perdu de Katharina Blum, adapté à l’écran en 1975 par Volker Schlöndorff & Margarethe von Trotta (2) -, et par le mouvement des étudiants contestataires berlinois animé par Rudi Dutschke, qui avait tant d’admirateurs dans les autres pays occidentaux. Avec, de temps à autre, un recours à des documents TV de l’époque (dont un, emprunté à la télévision française, relativement grotesque dans son commentaire), la chronique de Jean-Gabriel Périot signale, de manière fort peu détaillée, comme si le spectateur détenait lui-même l’information sur les faits et les résultats des actions violentes, les actions du groupe dit "Baader-Meinhof" jusqu’à l’année 1977, le fameux "automne allemand" : séquestration et assassinat de H.-M. Schleyer, détournement d’avion à Mogadiscio - et mort suspecte en prison de Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan-Carl Raspe - Ulrike Meinhof avait déjà été retrouvée pendue, dix-huit mois plus tôt dans cette même prison de Stammheim, aménagée spécialement pour le groupe). Le réalisateur ne manque pas d’inclure quelques commentaires des autorités et des politiques qui nous apparaissent aujourd’hui bien caricaturaux, ainsi que d’intellectuels eux-mêmes accusés de complicité, ce fut le cas de Henrich Böll, Günter Grass, Jürgen Habermas, voire le Suisse germanophone Max Frisch.


 

La méthode de Jean-Gabriel Périot est simple, trop peut-être : montage chronologique prépondérant, avec quelques incises qui n’apportent rien, comme ces deux brèves interventions godardiennes (Jean-Luc Godard  : "Peut-on faire des images en Allemagne ?" - très chic, n’est-ce pas ?). L’une est tirée d’un film allemand de Hellmuth Costard (3) sorti en 1978, l’autre d’une œuvrette de sa période maoïste. Un bref commentaire off aurait peut-être été préférable, par pédagogie, car le spectateur est amené à reconstituer lui-même les relations de sens entre les séquences. Citer Jean-Luc Godard vise peut-être à ne pas rester candide devant les images retrouvées, mais cela ne contourne pas le piège classique dérivant de l’insertion d’éléments hétérogènes, comme ces miettes de fiction généralement inavouées.
Cette hétérogénéité brise ce qu’il pourrait y avoir de stimulant dans l’ordonnancement des documents bruts, car les documents non bruts y perdent leur sens - exemple : deux petits extraits de la séquence tournée en 1977 par R.W. Fassbinder pour le film L’Allemagne en automne, où le cinéaste reconstituait son état d’esprit à l’époque des tragiques événements. Une séquence alors mal comprise en France, car on préférait les exposés didactiques et militants lorsqu’il s’agissait de politique. Comme il ne s’agit que de deux minuscules extraits d’une contribution de 26 minutes, leur parachutage dans le montage détourne le sens au profit d’un premier degré malencontreux ; le spectateur est laissé dans l’ignorance du fait que le cinéaste a soigneusement écrit les dialogues et qu’il n’y a là aucune improvisation. L’insertion des autres extraits fictionnels souffre du même travers, accentué par l’absence de commentaire off et l’insuffisance des sous-titres. Brandstifter (Les Incendiaires), téléfilm de Klaus Lemke (1969) mettant en scène Andreas Baader et Gudrun Ensslin dans l’attentat de Francfort de 1968, est sollicité sans grande rigueur, et les extraits de films de Peter Zadek, de Helma Sanders-Brahms et d’autres, passent devant nos yeux fugitivement, avec pour seule justification une parenté thématique - seule la lecture attentive du générique de fin permet d’apprendre leur présence.


 

Malgré cette critique qui est bien une critique de fond, on est passionné par quelques bouts de films des années 1967-1969 retrouvés par le réalisateur, tournés par les élèves de la toute nouvelle école de cinéma de Berlin, la DFFB (l’Akademie), dont le film reprend le discours d’inauguration du maire de Berlin de l’époque, un certain Willi Brandt (4) dont le ton semble littéralement exotique aujourd’hui. Mêlée à l’agitation de la jeunesse berlinoise, la première promotion de l’école a en effet réalisé un certain nombre de courts métrages très représentatifs de la contestation du 68 allemand (5)
C’est ainsi qu’au hasard de prises de vues faites au sein de l’Akademie, on reconnaît quelques visages de futurs réalisateurs (dont Harun Farocki) ou des acteurs que l’on retrouvera dans le cinéma d’auteur allemand. La radicalisation est à l’œuvre dans ces films d’agitation politique, manifestes à la fois socio-politiques et esthétiques. Les symboles et les références abondent dans ces essais : omniprésence des drapeaux rouges, allègre cérémonie du changement de nom de l’école, rebaptisée du nom de Dsiga Wertow -Dziga Vertov, la grande référence soixante-huitarde du cinéma d’intervention...
Certains extraits dépassent le stade de la simple contestation. Ainsi le bel extrait du Rote Fahne (Le Drapeau rouge), film collectif à l’origine, d’une durée de plus d’une heure, dont les sept chapitres ont été réalisés par Harun Farocki, Carlos Bustamante, Helke Sander, Holger Meins, Wolfgang Petersen, Philip Werner Sauber et Gerd Conradt. C’est la séquence de ce dernier qui est reprise habilement par Jean-Gabriel Périot (Farbtest - Die Rote Fahne, restaurée en 1996). Bien que passant très vite sur l’écran, ces documents constituent un des éléments passionnants de son film.


 

Ces élèves de l’Akademie n’étaient donc pas d’une grande docilité, et ils se sont ingéniés à détourner les moyens disponibles de l’école, jouant notamment un rôle dans la révolte des étudiants berlinois en 1967-1968. Jusqu’à ce que la direction de la DFFB (le recteur n’était autre que le documentariste Erwin Leiser) décide de renvoyer dix-huit élèves, dont plusieurs figures éminentes de la première promotion, sélectionnée en 1966. Parmi les exclus : Holger Meins, adepte du "réalisme subversif" et auteur d’un film aperçu dans le montage de Jean-Gabriel Périot, plan fixe sur la fabrication d’un cocktail Molotov. Holger Meins ne tardera pas à rejoindre le groupe Baader, et sera arrêté au cours d’une fusillade. Emprisonné, il est mort en 1974 après avoir fait une grève de la faim de cinquante-six jours pour protester contre ses conditions d’incarcération. Un commando de la RAF portera son nom en 1975, commettant une meurtrière prise d’otages à l’ambassade de RFA en Suède - plus tard son ami Gerd Conradt lui consacrera deux films. Très engagé lui aussi, celui-ci est toujours actif dans l’avant-garde du cinéma et de la vidéo. Un autre co-auteur du Drapeau rouge, Philip Werner Sauber, citoyen helvétique, mourra en 1975 dans un échange de coups de feu avec la police. (6)


 

Certains rebelles de la DFFB ont fait carrière dans le cinéma, tel Wolfgang Petersen, exclu lui aussi en 1968, qui travaille aux États-Unis depuis le succès du film et de la série TV Das Boot. Harun Farocki (décédé en 2014) est devenu un des grands documentaristes critiques contemporains, un inclassable et une sorte de maître à penser pour des cinéastes nés vingt ans après lui. L’ironie de l’histoire veut que Hartmut Bitomsky, devenu dans l’intervalle un grand documentariste presque à l’égal de son ami Harun Farocki, a été nommé directeur de l’école dont il avait été chassé quarante et un ans plus tôt. Son prédécesseur à la tête de l’Akademie n’était autre que Reinhard Hauff, auteur du film sur le procès du groupe Baader-Meinhof qui a défrayé la chronique en 1986. De même que beaucoup d’acteurs de la contestation étudiante berlinoise, ces jeunes cinéastes n’ont pas tous basculé dans la lutte armée. Rudi Dutschke, le grand organisateur de la contestation, s’est orienté vers une petite carrière universitaire après de longs soins consécutifs à l’attentat dont il a été victime (et qui, à terme, a provoqué sa mort). Signes de l’accélération de l’Histoire, le nom de ce personnage honni par la droite à l’époque a été donné à une rue du centre de Berlin et une plaque a été apposée sur le lieu de l’attentat, sur le Kurfurstendamm. Quant à Horst Mahler, une des figures centrales du film de Jean-Gabriel Périot, son itinéraire peut surprendre. Avocat des revues d’extrême-gauche et des militants, il s’engagera plus avant et glissera dans la guérilla urbaine. Il est un des fondateurs la Fraction Armée Rouge en 1970. Après avoir passé une dizaine d’années en prison, il va opérer un virage à 180 degrés. Fils de militants nazis, il est aujourd’hui un des plus véhéments agitateurs de l’extrême-droite allemande, s’exposant à de nouvelles condamnations et à des retours en prison…


 

Aucune de ces données biographiques n’avait sa place dans Une jeunesse allemande, certes. Le reproche n’est pas là, il est dans l’absence de ligne directrice dans la lecture des documents, l’auteur étant trop confiant dans la simple succession des images. Il néglige la rigueur nécessaire dans l’insertion non certifiée des extraits de films de fiction. Même si l’on s’abstient de tout jugement politique sur l’odyssée des activistes (les derniers n’ont abandonné les armes qu’en 1998), même si l’on adopte un point du vue froidement rétrospectif, on peut reprocher au film l’héroïsation de ses personnages. En particulier de la journaliste et théoricienne Ulrike Meinhof (7) et de l’omniprésent Horst Mahler, tellement sollicité à l’époque par les médias. Sur de tels sujets, sur de tels destins, le cinéma risque souvent de dresser un martyrologe plutôt que d’appliquer les critères de la science historique.
La fascination des intellectuels pour la marge, celle des industries culturelles pour les mythes de toute origine (nobles mafieux, gangsters respectant les lois du milieu, aventuriers sans espoir, Bonnie and Clyde, Mesrine, etc.), ont nourri le cinéma de tous les pays, en cristallisant toutes les formes de l’héroïsation. Héroïsation présente dans des films de fiction tournés en Allemagne, où le respect de ce qu’étaient les terroristes avant le terrorisme engendre une perception romantique des destinées individuelles. Le romanesque de la transposition fictionnelle de faits concrets est une contrainte difficile à maîtriser. Les cinéastes allemands, comme beaucoup d’intellectuels, se sont souvent concentrés, à juste titre, sur la critique des institutions répressives, et sur l’hystérie sécuritaire incontestable de ces années difficiles, sur les accusations de "complicité morale", la chasse aux sympathisants (8), les interdits professionnels (9). Le collectif L’Allemagne en automne, dont Alexander Kluge et Volker Schlöndorff ont été les deux animateurs, en porte témoignage avec dignité, dans la volonté, précisément, de témoigner. Témoigner d’un moment de la vie politique de l’Allemagne.


 

Quelques fictions à composantes biographiques sont parvenues à déjouer les pièges classiques et à donner naissance à des films soucieux d’analyse, comme (justement) Les Années de plomb. Avec son intelligente interaction entre psychologie et objectivité politique et sociale. D’autres films allemands ont regardé avec une sorte de sympathie gênée les protagonistes de ces années troubles sans jeter par-dessus bord toute réflexion historique, comme Les Trois Vies de Rita Vogt (Die Stille nach Schuss,) du probe Volker Schlöndorff (2000). C’est aussi le cas de Contrôle d’identité (Die innere Sicherheit) de Christian Petzold (2000), avec comme scénariste Harun Farocki. La rigueur de la mise en scène sert la mise en perspective de la vie d’un couple d’ex-terroristes ayant fui l’Allemagne. On y retrouve une réflexion sur la violence collective dans l’opposition à la génération qui a connu le nazisme et surtout dans le couple impitoyable du terrorisme d’extrême gauche et de la répression policière.


 

On aurait envie d’y associer le film de Reinhard Hauff, Stammheim (1986), tout entier consacré au procès du groupe Baader-Meinhof, qui s’est déroulé dans la prison de haute sécurité de Stuttgart, spécialement aménagée pour les terroristes. Diffusé en France seulement à la télévision (Arte, sous le titre Le Procès Baader-Meinhof ), le film est fondé sur les minutes du long procès de six mois. Non sans rigueur, mais avec une certaine séduction de Andreas Baader, dont le portrait devient presque positif dans la volonté de nier celui d’une brute inculte et grossière colportée par les médias - et grâce à un acteur très sympathique, Ulrich Tukur. Œuvre controversée quelque peu oubliée, Stammheim avait créé un scandale au Festival de Berlin, où il avait obtenu l’Ours d’or malgré les dissensions au sein du jury (10).


 

Rainer Werner Fassbinder est peut-être celui qui s’est montré le plus détaché des événements contemporains, moralement, idéologiquement, et psychologiquement (malgré la souffrance éprouvée dans le contexte de 1977 dont il témoigne dans L’Allemagne en automne). Il a écrit très vite le scénario de La Troisième Génération (Der dritte Generation), tourné en décembre 1978 et janvier 1979. Il y développe avec entrain la thèse selon laquelle il y avait peut-être une logique dans la supposée première génération, la première vague des activistes ("idéalistes"), voire dans la deuxième génération apparue en 1974 (le Mouvement du 2 juin). Mais, pour lui, la troisième génération ne pouvait que faire le jeu des pouvoirs, car manipulée et condamnée à des provocations détachées de toute analyse de la réalité. Une posture scénaristique et un ton, celui de la farce, qui lui valurent d’être traité de "fasciste de gauche"… Il avait déjà montré, dans Maman Kuster s’en va au ciel (Mutter Küsters’ fahrt zum Himmel, 1975), comment la lutte pour la dignité et contre les mensonges des dominants (dont la presse) pouvait conduire à l’impasse par l’action armée. Avec son film de 1979, jugé mineur par beaucoup, il rejoignait le situationniste italien Gianfranco Sanguinetti qui écrivait que ces militants ne s’aperçoivent pas qu’ils sont partie intégrante du spectacle qu’ils voudraient combattre (11).


 

Bien sûr, les violences de l’époque n’ont pas manqué d’inspirer des films spectaculaires (12) mis en adéquation avec les exigences supposées du marché. C’est une toute autre affaire.

Daniel Sauvaget
Jeune Cinéma n°369-370, décembre 2015

1. D’après une interview du Guardian en octobre 2002. Astrid Proll s’est enfuie à Londres, puis, rattrapée par le passé, elle a passé un petit nombre d’années en prison, avant d’entreprendre une carrière dans les médias.

2. On peut évoquer aussi Le Couteau dans la tête (Messer in Kopf) de Reinhard Hauff (1978) sur les manipulations policières et les mensonges de la presse.

3. Der kleine Godard est un film dénonçant les critères de choix des commissions de subvention du cinéma, qui constitue en même temps une leçon ironique de mise en scène. Il est sous-titré "devant le Kuratorium du jeune cinéma allemand". L’apparition de Jean-Luc Godard est destinée à prouver que l’originalité du cinéaste lui ôtait toute chance face aux institutions allemandes du cinéma.

4. Fondée en 1966. Appellation officielle : Deutsche Film und Fernsehen-Akademie Berlin - on dira simplement l’Akademie.

5. À signaler que quelques séquences présentées dans le film viennent de films DFFB restaurés, déjà présentés par le Festival de Oberhausen dès 1989 et par une chaîne publique allemande en 1998.

6. Il est le héros du livre de Ulrike Edschmid, Das Verschwinden des Philip S., Berlin, Suhrkamp, 2013. La Disparition de Philip S., traduction de Anna de Fries, Paris, Piranha, 2015.

7. Voir plutôt le documentaire de Timo Koulmasis, Ulrike Marie Meinhof (1994,) diffusé en France sur Arte, et au cours de plusieurs festivals, Lussas, Marseille, Belfort, Berlin, New York, etc.

8. Cf. L’Honneur perdu de Katharina Blum, et Le Couteau dans la tête déjà cités, et Le Second Éveil (Das zweite Erwache der Christa Klages) de Margarethe von Trotta (1977).

9. Voir notamment un film miraculeusement distribué en France, Vera Romeyke ist nicht tragbar (Vera Romeyke n’est pas dans les normes) de Max Willutzki (1975), autre membre de la première promotion de la DFFB, il ne faisait pas partie du groupe renvoyé.

10. Gina Lollobridgida, présidente du jury, a crié au scandale et s’est immédiatement désolidarisée

11. Gianfranco Sanguinetti, Du terrorisme et de l’État, publié en avril 1979 en Italie, publié en France en 1980, à Grenoble, sans nom d’éditeur.

12. Et des téléfilms, comme, en Allemagne, Todesspiel (Jeu mortel), réalisé par un spécialiste du thriller TV, Heinrich Breloer, assez malin pour entrecouper l’action de témoignages d’acteurs de la crise de 1977. Gros budget de la télévision publique, durée totale de trois heures et grande audience (juin 1997).


Une jeunesse allemande. Réal, mont : Jean-Gabriel Périot ; sc : J.G.P, Pierre Hodgson, Anne Steiner, Nicole Brenez & Anne Paschetta ; mu : Alan Mumenthaler. Avec Ulrike Meinhof, Alexander Kluge, Willy Brandt, Holger Meins, Horst Mahler, Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Benno Ohnesorg, Rudi Dutschke, Thorwald Proll, Horst Söhnlein, Klaus Lemke, Rudolf Angstein, J. Seifert, Heinrich Böll, Carl Raspe, Astrid Proll, Helmut Schmidt, Helmut Kohl, Carl-Dieter Spranger, Franz Josef Strauß, Rainer Werner Fassbinder, Lilo Pempeit, Jürgen Habermas (France, 2015, 93 mn). Documentaire.



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