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Party Girl (2014)
de Marie Amachoukeli, Claire Burger & Samuel Theis
publié le samedi 10 janvier 2015

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°360 été 2014

Sélection officielle Un certain regard au Festival de Cannes 2014, Caméra d’or


 


"Mes copines de cabaret, elles sont pas faciles, vous verrez !" dit, à quelques mâles grivois, Angélique, entraîneuse de son métier. À ses copines, elle raconte, dans la Forbach déserte du petit matin : "J’ai commencé par le Las Vegas. En haut c’est les chambres. Moi j’ai habité dans toute la rue, hein. Là où on danse, on habite !"


 


 

Papillon de nuit, elle a de la bouteille, Angélique et flirte avec l’âge de la retraite. Quand son client préféré la demande en mariage, elle est troublée. Ils ont passé des moments superbes. Toute sa famille pense que c’est une proposition qui ne se refuse pas. Elle y réfléchit.
Party Girl, c’est l’histoire de ce qui se passe avant le mariage, dans les esprits des promis. Sous les plumes convenues : le goudron de l’angoisse.
La problématique du mariage est vieille comme le cinéma. Le genre "film de mariage", lui, est advenu en 1978, avec Un mariage de Altman (1). L’accès du genre au classicisme se serait opéré en 1993-1994 avec Quatre mariages et un enterrement de Mike Newell et Garçon d’honneur de Ang Lee. Et puis, c’est devenu la tarte à la crème des cinéastes français trentenaires.

Donc, comme tout le monde, Angélique a les jetons.
Le monde se divise en deux, le jour et la nuit. La nuit avec ses diables et ses délices, le jour avec ses anges et ses corvées. Angélique appartient à la nuit. Elle a choisi Dionysos, elle a peur d’Apollon et de son aveuglante lumière. D’ailleurs, entraîneuse, c’est pas un métier, c’est un tempérament. Un talent de leader, une exubérance. Mariée, que fera-t-elle de son talent ?


 


 

S’ils se sont aimés, ces deux-là, Angélique et Joseph, c’était dans l’entrain de la fête. Entre le désir et l’amour, il y a une frontière invisible, imprévisible. C’est un seuil, qui se franchit dans un sens ou dans l’autre, mais généralement irréversible. Il arrive qu’ils cohabitent, mais c’est éphémère.
Une des scènes-clé du film, c’est le slow des fiancés. I’m still loving you clament les Scorpions. "Time, it needs time to win back your love again. I will be there, I will be there", pense Joseph. Pendant qu’Angélique tente de retrouver la magie. Le temps du slow, tous deux croient qu’on peut être amants et époux à la fois.


 

Mais Tristan et Yseult ne se marieront jamais. Même séparés par l’épée, ils sont voués à la mort. Rougemont a tout dit là-dessus (2) : seul le mariage, sacrement qui convoque dans le couple un 3e terme (la loi ou Dieu), permet la civilisation.
Et Angélique, et ses excès, est une barbare.


 

D’où vient que tous, les spectateurs, comme les personnages, souhaitent qu’elle s’assagisse ? Qu’est-ce qu’une "fille perdue" ? À la fois vieux christianisme qui bouge et souvenir de Loulou qui rencontrera forcément son Jack ?


 

Party Girl réussit une sorte de coup de maître. Le film dénonce cette idée simpliste que les "lieux de perdition" sont faits pour les mâles dominants exploitant des femelles dominées. Il fait mieux : Sous un masque hyperréaliste, qui ressemble au "théâtre du quotidien" des années 70 (3), avec son petit langage et ses péripéties minuscules, il exhibe à la fois le manichéisme des représentations occidentales et leur extrême sophistication.

Anne Vignaux Laurent
Jeune Cinéma n°360, été 2014

1. La date n’est pas indifférente. À la fin des années 70, on ne se mariait plus guère depuis longtemps. Les réactionnaires années 80 changèrent la donne et on sait ce qu’il en est désormais, 30 ans après, les mariage est devenu une revendication.

2. Denis de Rougemont, L’Amour et l’Occident, Paris, Plon, 1939.

3. Illustré notamment par le dramaturge allemand Franz-Xaver Kroetz.


Party Girl. Réal et sc : Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis ; ph : Julien Poupard ; mont : Frédéric Baillehaiche ; décors Nicolas Migot. Int : Angelique Litzenburger, Joseph Bour, Mario Theis, Samuel Theis, Séverine Lichtenburger, Cynthia Litzenburger (France, 2014, 96 mn).



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