home > Films > Mon amour (2022)
Mon amour (2022)
de David Teboul
publié le mercredi 15 juin 2022

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°416, été 2022

Sortie le mercredi 15 juin 2022


 


Mon amour est un long métrage documentaire de 172 minutes. En couleurs et noir & blanc, la couleur étant réservée aux plans tournés en Sibérie, le noir & blanc à la narration filmique sous-jacente, qui relate l’histoire d’amour du réalisateur vécue il y a dix ans, à Paris. Ces plans en noir & blanc paraissent comme des esquisses au fusain de corps amoureusement mêlés, bribes de souvenirs charnels, peu visibles, presque effacés, éloignés dans la mémoire et le temps. Ils reviennent de façon récurrente dans le déroulement du film, pour traquer et fixer cet amour disparu.


 

Parallèlement à ces plans, débute le départ pour la Sibérie, espaces blancs d’abord, sans limites, terre gelée lointaine, inaccessible, la terre bouriate, à la frontière de la Mongolie, où vivent des individus isolés de tout, aux visages affectés par la vie. Chacun, à la demande du réalisateur, évoque l’amour, la fidélité, le déchirement, le drame, la résistance.
De ces deux films-itinéraires parallèles, l’un poursuit la mémoire intime, l’amour perdu, l’autre s’évade au plus loin, auprès d’une population inconnue ayant bien souvent vécu la faim, le froid, les ravages de l’alcool et l’isolement dans l’Union soviétique, pour tenter de comprendre le sens de l’amour et du possible désamour.


 

Au long du film, une voix off lit un texte écrit par Anne Baudry, scénariste et chef-monteuse, un très beau texte, poétique, sensuel, désespéré, qui retrace la passion amoureuse de David Teboul pour Frédéric Luzy. Le premier est réalisateur, notamment de films sur Sigmund Freud, Simone Veil, Yves Saint Laurent, le second, décédé d’une overdose à Paris en 2007, était producteur de documentaires sur Maria Callas et Yves Saint Laurent.


 

Le film s’en tient à dévoiler avec discrétion et distance l’importance de cet amour, à travers, d’une part le texte de Anne Baudry et d’autre part quelques phrases emblématiques empruntées à Marguerite Duras et à Hiroshima mon amour. Phrases suspendues dans le temps, qui sous la diction de David Teboul, retrouvent une dimension charnelle. Il y a dans ces mots, comme dans sa voix troublée, une probable culpabilité, comme si le poids de la disparition de l’être aimé s’alourdissait, à chaque nouvelle séquence, d’un surplus de responsabilité. La quête du sens du sentiment amoureux se prolonge ainsi suivant ces deux itinéraires et la question énoncée par l’auteur : "Aime-t-on à Paris comme on aime à Taksimo ?". Il tente d’y répondre, dans la lenteur, la contemplation et la mélancolie, se mettant lui-même en jeu face à son histoire amoureuse.


 

Le film est un chef-d’œuvre sur le plan esthétique par ses plans fixes, les éclairages sur les objets et les visages ; mais, à l’examen, un réalisme prégnant saisit le regard ; la modestie des décors n’est rien d’autre que la pauvreté, durable, obsédante, celle d’un peuple vivant de la pêche et de la chasse, dans un isolement considérable, comme la parole rare des hommes ou des femmes est un langage antérieur au présent de leur vie.


 

L’un regrette de quitter sa femme pour vivre et chasser dans la taïga, l’autre reconnaît ne pas pouvoir exister sans elle, qui a perdu la vue et qui l’enlace tendrement. Un jeune homme évoque, des larmes dans la voix, le souvenir des coups violents de sa mère lorsqu’il était enfant. La douleur ressentie par ces inconnus devant la dureté de la vie, comme leurs paroles précieuses, rectifie sensiblement l’objectif du film. Le voyage au bout de la Sibérie, destiné à oublier et à accepter la mort d’un amour, se transforme lentement, grâce à la découverte de ces territoires reculés et de ces visages marqués par le malheur profond, aux regards déjà lointains. Partant d’une histoire intime, David Teboul découvre, comme une délivrance, un peuple dans l’Histoire.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°416, été 2022


Mon amour. Réal : David Teboul ; texte, mont : Anne Baudry ; ph : Martin Roux ; mont : Catherine Gouze (France, 2022, 172 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts