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Truman Show (the) (1998)
de Peter Weir
publié le mercredi 15 juin 2022

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°252, novembre 1998

Trois nominations aux Oscars 1999

Sorties les mercredis 28 octobre 1998 et 15 juin 2022


 


Le cinéma américain aime mettre en scène sa télévision comme objet et lieu de tous les pouvoirs, de toutes les manipulations. Nombre de ces films se fondaient sur la réalité, certes romancée, et sur un point de vue en général très critique. Peter Weir ajoute sa pierre à cet édifice à travers un scénario, très original dans ses prémisses et son développement, signé Andrew Niccol, déjà auteur de Bienvenue à Gattaca. (1) L’idée de départ consiste à imaginer qu’une chaîne de télé se consacre exclusivement à suivre 24 heures sur 24 la vie d’un homme depuis sa naissance et diffuser en direct tous ses faits et gestes par le biais d’un réseau de caméras cachées qui ne le quittent pas d’un pouce. Depuis 30 ans, Truman Burbank constitue donc le seul et unique sujet de ce reality show très particulier. Une ville a été construite spécialement autour de lui, dont les habitants constituent les figurants consentants et se plient à des règles de vie dictées par cette chaîne de télévision. Ce pourrait être de la science-fiction, mais tout fonctionne sur un registre de forte réalité.


 


 

On sait que la télévision américaine s’est aventurée très loin dans cette direction du voyeurisme ou de l’auto-mise en scène de gens pour qui le petit écran est devenu le lieu quasi exclusif d’une vie fantasmée. Il ne fallait donc pas pousser très loin pour rendre la fable tout à fait crédible. Surtout, Peter Weir a eu l’extraordinaire idée de choisir un lieu réel pour l’essentiel du tournage, une ville résidentielle de Floride (le Seaside réel devient Seahaven dans le film) tirée au cordeau, peuplée de gens qui ont choisi de vivre comme dans une bulle, protégés des agressions du reste de la société.


 

L’originalité du film de Peter Weir réside dans le fait que cette démarche ne nous est révélée que très progressivement. Pendant un certain temps, nous avons, en effet, l’impression de suivre la vie d’un Américain moyen jusqu’à ce que progressivement de petits indices nous laissent entrevoir que le propos du film se situe sur un tout autre terrain. Un plan au grand angle qui correspond à un autre point de vue, un angle de filmage inhabituel déstabilisent notre regard sur ce personnage. Et petit à petit, la manipulation apparaît dans toute son ampleur comme la vit Truman Burbank.


 

Le film devient alors la lutte du personnage pour déjouer le piège des caméras et regagner son autonomie. Mais le Big Brother cathodique, la pression du public rendent sa tentative quasiment désespérée. Cette lutte donne naissance à des situations cocasses dans la façon dont Truman Burbank est amené à jouer et à se déjouer des caméras qui le traquent. C’est aussi l’occasion d’une étude très critique des comportements des téléspectateurs complètement obnubilés par cette aventure imprévue d’un homme qui a fait partie de leur quotidien et qui tout à coup se met à jouer au chat et à la souris sur leur petit écran.


 


 

Et lorsque Peter Weir révèle le cœur du dispositif, le studio extrêmement sophistiqué dirigé par un allumé des médias (composition très réussie de Ed Harris), nous ne sommes pas loin de croire que tout ceci est d’ores et déjà possible, que ce qui aurait pu être de la science-fiction fait déjà presque partie de notre quotidien.
Le final maintient juste ce qu’il faut de distance pour nous replonger dans la fable, non pas pour nous distraire de ce qui est devenu un cauchemar, mais pour donner une dimension onirique au film. Peut-être aussi pour nous délivrer de cette expérience extrêmement troublante qui a fait de nous un maillon de cette manipulation. C’est en cela que The Truman Show constitue bien plus qu’un nouveau film sur le thème de la télé et nous ramène à un Peter Weir dont le regard retrouve toute son acuité.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°252, novembre 1998

1. Andrew Niccol est réalisateur et scénariste de Bienvenue à Gattaca (1997).


The Truman Show. Réal : Peter Weir ; sc : Andrew Niccol ; ph : Peter Biziou ; mont : William Anderson & Lee Smith ; mu : Burkhard von Dallwitz. Int : Jim Carrey, Ed Harris, Laura Linney, Noah Emmerich, Natascha McEl-hone, Holland Taylor, Philip Glass
(USA, 1998, 103 mn).



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