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Gautelier, Loïc (livre)
Mireille Balin (2019)
publié le samedi 29 octobre 2022

par René Prédal
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019

Loïc Gautelier, Mireille Balin, Paris, Les Passagers du rêve, 2019.


 


Résultat remarquable de sept années de recherche, ce passionnant volume de 400 pages plonge dans la vie et la carrière de celle qui, aux côtés de Danielle Darrieux, Edwige Feuillère, Viviane Romance et Michèle Morgan, fut une des cinq plus grandes vedettes féminines du cinéma français d’avant-guerre.
Star énigmatique et légendaire, elle s’est imposée en une décennie à peine (1932-1942) et moins d’une trentaine de films. Les cinéphiles retiendront le sommet, Pépé le Moko de Julien Duvivier (1936), et Gueule d’amour de Jean Grémillon (1937), tous deux avec Jean Gabin, suivis de Naples au baiser de feu de Augusto Genina (1937).

À partir de là, elle passe à la chronique mondaine, puisqu’elle incarne, avec Tino Rossi, le couple idéal des journaux populaires - la vamp et le chanteur de charme, beaux, riches et célèbres -, jusqu’en 1941 où les années noires de l’Occupation marquent pour elle, à 32 ans à peine, les débuts d’un effondrement dramatique, et bientôt d’un oubli et d’une misère lamentables, jusqu’à sa mort, à 59 ans.

Loïc Gautelier explore ce fulgurant destin romanesque et tragique en cinéphile, analysant chaque film (avec extraits critiques d’époque concernant son interprétation), mais aussi en sociologue du cinéma comme en fin psychologue de l’amour et de la solitude. "Fan" de l’actrice autant que de la femme, il édifie un mausolée aussi chaleureux que grandiose, qui laisse au lecteur une amertume profonde et une admiration sincère, à la fois pour l’artiste et son biographe.

Scrutant tous les entretiens de Mireille Balin, entretiens dont elle fut d’ailleurs plutôt avare, l’auteur brosse le portrait inattendu d’une femme simple, fraîche, casanière, joyeuse, gentille, sentimentale et cultivée, tout le contraire des garces et des glaciales femmes fatales qu’elle incarne généralement à l’écran, comme de l’élégante mannequin sensuelle, en somptueuses voitures et couverte de bijoux, courant réceptions et soirées du Tout-Paris au bras des politiciens et hommes du monde les plus en vue. Est-ce dans ces contradictions que réside le mystère de cette lointaine et silencieuse créature, dont les deux amours, liaisons affichées, furent un bellâtre godiche, Tino Rossi, et un officier nazi de la Wehrmacht, sans doute agent double, Birl Deissböck ?

Certes, c’est elle qui, pour son interview à la sortie de son premier film, Don Quichotte de Georg Wilhelm Pabst (1932), s’invente des origines de famille bourgeoise et de bonne éducation, avec un air de dilettante racée égarée dans le monde factice du cinéma. Mais le drame, c’est qu’elle va se conformer à cette image, s’y enfermer puis s’en faire prisonnière, jusqu’au réveil terrible, violée par des FFI à la libération de Monte Carlo. Loïc Gautelier reconstruit avec une conviction enflammée l’existence tour à tour idyllique et sordide d’une épave faisant le ménage de l’association La Roue tourne, qui l’héberge en 1968.
Le livre adopte un ton très différent des nouvelles monographies d’acteurs écrites aujourd’hui par des universitaires. Comme ces dernières publications, le biographe part d’une documentation considérable, mais avec un esprit de créateur (il est auteur dramatique) qui l’amène à travailler les failles de son modèle pour en faire un authentique personnage de cinéma.

René Prédal
Jeune Cinéma n°398, décembre 2019


Loïc Gautelier, Mireille Balin, préface de Jean-Charles Tacchella, Paris, Les Passagers du rêve, 2019, 400 p.



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