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Pourquoi pas ! (1977)
de Coline Serreau
publié le mercredi 7 décembre 2022

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°108, février 1978

Sorties les mercredis 21 décembre 1977 et 7 décembre 2022


 


Comédienne (et fille de comédiens), Coline Serreau a abordé la création cinématographique non pas par le "film joué" où aurait pu la conduire de plain-pied sa formation première, mais par le travail du scénario dans On s’est trompé d’histoire d’amour (1973) (1) puis par un film-enquête, Mais qu’est-ce qu’elles veulent ? (1975).
C’est peut-être cet apprentissage assez complet qui vaut à son premier film de fiction une sûreté dépassant d’un seul coup l’ouvrage de débutant : jeu d’acteurs parfaitement maîtrisé, scénario subtil, et, derrière cette histoire bien racontée, une qualité de document social. Mais autant que par le talent, Pourquoi pas ! vaut par le courage : celui de mettre en question la morale établie et les usages sociaux - un courage paisible qui traite sans la moindre provocation d’un sujet réputé provocant.


 

Il fait la chronique de la vie à trois d’Alexa, Fernand et Louis, qui, après d’autres expériences (pour Alexa et Fernand des mariages ratés), ont trouvé là leur équilibre. "L’amour qui les unit, dit Coline Serreau, est fait de tendresse, de rapports sexuels réussis et de tolérance".
Sur les rapports sexuels (aussi bien des deux hommes entre eux que les deux hommes avec Alexa), le film est d’une franchise sans ambiguïté.


 


 

Mais sa richesse est de ne pas s’enfermer dans la sexualité, de l’introduire dans un rapport psychologique plus large - la tendresse et la tolérance -, et même de faire sa place à un rapport économique qui invertit lui aussi les usages traditionnels. C’est Alexa qui, à l’extérieur, gagne l’argent nécessaire à la vie du groupe. C’est Fernand qui fait le ménage, la cuisine, lave et coud pour tout le monde. Inconsolable de ce que le jugement de divorce lui ait retiré la garde de ses deux enfants, il a une fibre maternelle surprenante dans une vie aussi émancipée. On regrette que le personnage de Louis ait moins de relief que les deux autres : il fait de la musique, il ne semble pas avoir une fonction très utile dans la vie du groupe, mais sans doute sa présence affirme-t-elle le droit - mal admis pour un homme - d’être inutile et cependant aimé.


 


 

Ce bel équilibre est mis à l’épreuve par l’intrusion des usages traditionnels qui détraquent tout : le départ de Fernand, puis son retour avec Sylvie, une fille de bonne famille bourgeoise, qui se considère comme sa fiancée. Ce départ établit entre Alexa et Louis les données d’un rapport de couple désormais insupportable pour eux. La présence de Sylvie, que personne n’a osé mettre au courant des usages de la maison, tend, elle aussi, à rétablir un rapport de couple, double cette fois, le seul que son éducation bourgeoise lui permette d’imaginer.


 


 

Mais ici encore, ce qui est en cause ce n’est pas seulement la pratique amoureuse collective, c’est aussi le rapport économique et la vie familière : Louis, seul avec Alexa, met en pièces l’aspirateur de Fernand ; Sylvie veut faire la lessive parce que c’est son "métier de femme", et Fernand, très malheureux, se trouve frustré de son rôle dans la collectivité. Lorsque Sylvie prend conscience de ce qui se passe autour d’elle, elle est d’abord consternée, fait sa valise et se prépare à partir.
Et puis la chaleur de cet amour non conforme mais vrai agit aussi sur elle : il semble qu’elle va rester, cette fois en toute connaissance de cause. Elle est donc la première à se poser le "Pourquoi pas ?", et elle le projette vers le spectateur.


 

Ainsi, un scénario de grande intelligence permet d’explorer le problème, de conduire à une conclusion après avoir démontré la thèse par l’antithèse même. Le film évite tous les écueils du film à thèse parce que la démonstration est faite non par des mots mais par la vie. À travers des personnages face auxquels une sympathie profonde n’exclut pas l’ironie et à travers des interprètes, particulièrement Sami Frey pour Fernand et Christine Murillo pour Alexa, qui jouent avec une rare justesse, sans doute parce que Coline Serreau, comédienne, sait diriger les comédiens dans un travail qu’elle connaît bien, mais aussi, comme leurs souvenirs en témoignent, parce que ce travail s’est déroulé dans une atmosphère de bonheur qui rejoint celle de l’île heureuse d’Alexa, Fernand et Louis.


 


 

À travers tout cela un sortilège opère qui est de faire paraître tout naturel ce que la morale établie considère comme dénaturé, et de nous conduire doucement comme à une évidence à ce "Pourquoi pas ?" qui est la première brèche dans les préjugés.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°108, février 1978

1. On s’est trompé d’histoire d’amour de Jean-Louis Bertuccelli (1973).


Pourquoi pas !. Réal, sc et dial : Coline Serreau ; ph : Jean-François Robin ; mont : Sophie Tatischeff & Joëlle Hache ; mu : Jean-Pierre Mas ; déc : Denis Martin-Sisteron. Int : Sami Frey, Maria Gonzalez, Christine Murillo, Nicole Jamet, Michel Aumont, Marthe Souverbie (France, 1977, 97 mn).



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