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Zardoz (1974)
de John Boorman
publié le jeudi 29 janvier 2015

par René Prédal
Jeune Cinéma n°86 avril 1975

Prototype moderne d’une SF adulte, Zardoz de John Boorman se situe en 2293, c’est-à-dire 300 ans après l’effondrement de la civilisation de l’Homme en 1990.
Seule une poignée d’individus ont été sauvés tandis que tout le reste de la Terre retournait au chaos. L’action du film pose le problème de l’évolution de l’espèce humaine.

Les hommes riches, puissants et intelligents qui recherchaient dans La Montagne sacrée de Jodorowsky le secret de la vie éternelle, l’ont découvert. Comme les "visiteurs" matérialisés par le cerveau-océan de Solaris dans l’œuvre de Tarkovski, ces immortels sont immédiatement recréés s’ils meurent accidentellement ou tentent de se suicider.

Pourtant le Vortex des dominants, malgré son invisible barrière de force, ses paisibles paysages, son ordre démocratique et sa puissance psychique, n’a pu donner à ses habitants le bonheur, et on commence à voir se multiplier les "preuves " de cet échec.

Il y a les "apathiques" malades d’éternité.

Il y a aussi les "renégats", qui, ayant comploté contre la communauté, ont été condamnés à vivre éternellement sous les traits d’horribles vieillards.

Il y a surtout un insupportable ennui qui mine ces êtres, condamnant toute activité physique et sexuelle et concentrant leur énergie dans une vie purement spirituelle, qui ne leur permet pourtant pas de percer les plus importants mystères de l’univers.

Ce monde d’innocence paradisiaque n’est, en fait, qu’une création "contre-nature", dans la mesure où il n’est préservé qu’au prix de l’asservissement des Terres extérieures, terrorisées par la "Tête volante" du dieu Zardoz vomissant des armes et avalant du blé. De ce tiers monde sous-développé, exploité par l’intermédiaire d’un corps spécialisé d’Exterminateurs, le Vortex "civilisé" tire donc sa subsistance.

Jusqu’à ce que la révolte des "brutes" l’anéantisse. Cette destruction survient, il est vrai, au moment précis où les plus intelligents de ses membres eux-mêmes appellent de leurs vœux une totale auto-destruction.

La "conscience collective" cosmique est logée au sein de la structure de cristal, sise dans un Tabernacle tout encombré des statues plus ou moins mutilées des anciennes divinités de la Terre. Elle voudrait encore écarter cette hypothèse de l’auto-destruction, qui gagne les membres de la communauté. Friend va donc être soumis à une terrible violence psychique pour tenter d’extirper de son cerveau cette pensée suicidaire. Mais le cheminement de l’idée est irréversible.

Zed apparaît, dès lors, comme l’instrument presque aveugle de la fatalité.
N’a-t-il pas d’ailleurs été "programmé" par Arthur Frayn, l’inventeur de Zardoz, le Merlin l’Enchanteur de cette histoire ?
Guidé par la lecture du Magicien d’Oz, Zed est amené à découvrir que Zardoz n’est qu’une idole creuse destinée à abuser les brutes. Tel le chevalier du Moyen Âge partant à la conquête du Graal, il se lance alors dans la difficile quête de la vérité. Ce qui débouchera sur une régénérescence après un passage par la mort.

Pour le Vortex, Zed représente d’abord le danger du retour à l’animalité : ses souvenirs de violence et de sexualité qui s’inscrivent en images sur les parois du Tabernacle sont, en effet, comme la résurgence d’un passé aboli, mais qui a bel et bien existé pour chacun des membres de l’abri.

Or malgré ces effets négatifs résultant d’une mauvaise utilisation de la force de vie, cet inconscient ne peut être totalement refoulé, car il représente en fait une énergie vitale capable de sortir les apathiques de leur torpeur par le seul contact de quelques gouttes de sueur, et de diriger le désir sur les êtres et non sur les images.

L’incursion de l’étranger brise donc le vernis derrière lequel se cache encore la nature profonde de l’homme. Et la communauté va devoir retourner, pour se défendre, aux pratiques sauvages de chasse à l’homme, qui lui avaient d’ailleurs servi à fonder sa retraite dorée. Les forces protégeant le Vortex des brutes s’avèrent alors inutiles, la brutalité y ayant désormais pénétré. Toute défense de type classique devient impossible puisqu’il ne s’agit plus de lutter contre un ennemi extérieur mais contre un mal intérieur. La seule issue logique est de préserver le savoir, mais sans nier l’homme, c’est-à-dire de fondre les deux races, en acceptant la mort.

Dans un très beau finale, Zed et Consuella vieillissent donc ensemble, en veillant sur l’homme nouveau issu de leur amour, et dépositaire de tout ce qu’il y avait de bon dans les modes d’existence de chacun de ses parents. La fable est belle, intelligente, évitant tout schématisme. En effet, pris individuellement, ni Zed ni Consuella ne peuvent construire un idéal.

Les seuls défauts du film tiennent à un visualisation parfois brouillonne qui obscurcit le propos.
Alors que la réalisation de la dernière partie de 2001 développait, au contraire, les hypothèses abstraites du scénario, en leur conférant une allure magistrale d’évidence, à partir du moment où s’amorce le dérèglement du Vortex, le baroque envahit l’écran, les effets spéciaux sacrifient le sens au spectaculaire, et le grand Guignol de certaines séquences fait regretter la sobriété de THX 1138.

Il est également gênant que le personnage positif soit un ancien Exterminateur, c’est-à-dire un tueur professionnel, tout comme le dernier homme du Survivant de Boris Sagal était un officier supérieur.
En somme, lorsque les États-Unis rêvent ou imaginent un Sauveur, ils le voient automatiquement sous les traits d’un militaire, possédant tous les charmes de l’authentique virilité, et interprété par Charlton Heston ou Sean Connery.

Détail révélateur, et la meilleure preuve que l’avenir est toujours pensé par les créateurs en fonction du présent.

René Prédal
Jeune Cinéma n°86 avril 1975

Zardoz. Réal, sc : John Boorman ; ph : Geoffrey Unsworth ; déc : John Hoesli ; cost : Christel Kruse Boorman ; mu : David Munrow et 7e Symphonie de Beethoven. Int : Sean Connery, Charlotte Rampling, Sara Kestelman (Grande Bretagne, 1974, 107 mn)

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