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Zoom arrière n°6
Les Films de Paul Vecchiali
publié le jeudi 19 janvier 2023

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°417-418, octobre 2022

Zoom arrière n°6, Les Films de Paul Vecchiali, juin 2022


 


La revue Zoom arrière est née d’un collectif de cinéphiles qui, en 2012, ont lancé sur Internet un blog "à visée rétrospective", consacré au patrimoine – chacun des participants animant par ailleurs son propre blog sur la Toile.
La chose est désormais courante. Ce qui l’est moins, c’est de passer de l’immatériel au tangible, comme l’ont fait les membres du collectif, en éditant une revue papier, une vraie, à la parution régulière – six numéros publiés depuis avril 2019.

À l’exception du n°4, "Le cinéma muet français", qui portait un regard peu conventionnel sur quinze années de production, les autres numéros sont monographiques, en forme de réexamen d’une œuvre parfois achevée : Nagisa Oshima, (n°3), ou parfois presque achevée : Brian De Palma (n°1), parfois (on le souhaite) encore pleine de titres à venir : Nanni Moretti (n°2), Jim Jarmush (n°5).
Méthode d’approche semblable : un fil à fil de tous les films de l’auteur, suivi d’une mise en perspectives plus transversales, revenant sur les thèmes et obsessions. Chaque ensemble est tout à fait pertinent, échappant la plupart du temps à la tendance, difficile à éviter pourtant, à la surestimation du sujet choisi. Tous les films signés Brian De Palma ne respirent pas à la même hauteur, ni ceux de Nagisa Oshima, ni même ceux de Jim Jarmush. Les articles ne sont donc pas forcément laudatifs – et certains titres ont droit à plusieurs commentaires, manière d’équilibrer la balance.

On aurait souhaité qu’il en fût de même à propos de Paul Vecchiali. Car sur les trente films analysés - et à plusieurs voix : quatre pour Change pas de main  -, tous s’en sortent intacts, ce qui peut paraître excessif. Certes, en trente années de cinéma "normal", c’est-à-dire produit de façon professionnelle, dans le cadre du système, même s’il en a plutôt côtoyé les marges, Paul Vecchiali a tourné quelques œuvres de haute volée : La Machine (1977) et son audace, En haut des marches (1983), évidemment, dans lequel il réussit là où Jacques Demy a quelquefois échoué, Rosa la rose, fille publique (1985) apothéose de Marianne Basler, et l’expérience magnifique de Trous de mémoire (1984), qui prouve qu’avec rien - deux acteurs, une caméra - on peut toucher un sommet.
Que tous ces titres étonnants - et d’autres, moins puissants, L’Étrangleur (1970) ou C’est la vie ! (1980) - soient l’objet de textes enthousiastes, on admet.
Mais que, par exemple, Le Café des Jules (1988) devienne le chef-d’œuvre du cinéaste, plus grand à la fois que Vincente Minnelli ou Fritz Lang, on éprouve alors quelque doute sur notre propre vision d’époque ou sur celle de l’auteur du dithyrambe.

Quant à la dernière période, les seize films qui vont de À vot’ bon cœur (2003) à Pas… de quartier (2022), que Paul Vecchiali regroupe en partie sous l’emblème "Antidogma", invention langagière qui ne signifie pas grand-chose - "contre tout dogme", comme il le justifie. So what ? -, nous laisserons à ses fanatiques, nombreux à Zoom arrière (et ailleurs), le soin de les défendre.

Nuits blanches sur la jetée (2014) et Le Cancre (2016) exceptés, qui résonnent de la petite musique juste qui lui est particulière, les autres nous ont souvent semblé fabriqués à l’usage exclusif du petit nombre de ses amateurs, parfois réduits : 503 entrées pour Trains de vie (2018). Avec ses obsessions et ses redites, cet univers célibataire, comme les machines du même calibre, finit par ne plus avoir besoin de spectateurs (et nous nous sommes même senti gêné d’être là, devant, entre autres, +si @ff (2004) ou Bareback (2006).

Mais l’essentiel réside dans le plaisir de la création : tourner est une nécessité pour Paul Vecchiali et filmer à la maison, à compte d’auteur, n’est-il pas le rêve des cinéastes francs-tireurs comme lui, Alain Cavalier ou Jean-Pierre Mocky ? De toutes façons, il a tenté de prouver, dans L’Encinéclopédie, qu’un réalisateur, même d’appellation d’origine contrôlée - Luis Buñuel, René Clair, Henri-Georges Clouzot - était capable du meilleur comme, plus souvent selon lui, du pire. Aucune raison que ce jugement ne lui soit pas retourné.

Il n’empêche que nous sommes devant une œuvre véritable, initiée dès l’orée des années 1960 - Les Roses de la vie, son premier court métrage, est de 1962 -, que rien ne paraît pouvoir clore, sinon l’âge (mais Manoel de Oliveira a tourné son ultime film à 104 ans). D’autant que l’entretien accordé aux rédacteurs de la revue, daté du 26 mars 2022, montre qu’il n’a rien perdu, à 92 ans, de sa combativité ni de son (mauvais) esprit.
Et remercions Zoom arrière d’inaugurer une annexe qui manquait aux précédents numéros : une bibliographie très complète, répertoriant tous les ouvrages consacrés à l’auteur et tous les articles publiés dans des revues depuis 1966 (à partir des Ruses du Diable, son premier film), le tout issu des meilleures sources.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°417-418, octobre 2022

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Zoom arrière n°6, Les Films de Paul Vecchiali, juin 2022, 210 p.



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