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Femme de Tchaïkovski (la) (2022)
de Kirill Serebrennikov
publié le mercredi 15 février 2023

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°416, été 2022

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2022

Sortie le mercredi 15 février 2023


 


Après une ouverture ténébreuse et onirique, le film nous emmène dans la petite noblesse russe du 19e siècle, dentelles, samovar, conversations animées, musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski est entouré par ses joyeux compagnons, à ses débuts comme plus tard, dans sa gloire.


 


 

Il n’a pas le goût des femmes, mais une timide élève de son cours de théorie musicale au Conservatoire de Moscou, Antonia Miliukova, tremblante et anxieusement déterminée, lui déclare sa passion, son dévouement inconditionnel, sa vocation à ne vivre que pour lui. Il l’avertit qu’elle ne doit rien attendre de lui, aucune attention, aucune caresse, mais elle ne veut que vivre dans son ombre.


 

Cela se fait de se marier, elle lui apportera une petite dot et ça calmera les rumeurs sur ses mœurs dissolues. Il l’épouse donc, puis la laisse tomber et se consacre à sa musique et à ses amis, dont Nadejda Van Meck, une riche mélomane qui lui verse une rente.


 

Antonia s’accroche, de plus en plus traumatisée, et quand Piotr lui envoie ses avocats pour divorcer, elle hurle son statut d’épouse légitime. Dans ses commentaires, Kirill Serebrennikov déclare sa compassion pour cette femme perdue. Mais le cinéaste ne fait pas d’elle une héroïne, elle n’est qu’une ombre et la vraie vie se déroule sans elle.


 

Piotr Tchaikovski, lui, crée, compose, bute, se relève, échoue, réussit, choisit, progresse. Son homosexualité apparait plus comme le fait de son immersion dans d’intenses échanges entre des jeunes gens créatifs que comme une marginalité douloureuse.


 

Toutes les images sont belles. Une scène justifie à elle seule d’aller voir le film. C’est celle de ces sept élégants jeunes hommes présentés à l’épouse délaissée, qui se dévêtissent avec flegme, révélant, en conquérants, leurs morphologies variées, tranquillement souriants, curieux de son inspection, de son choix. Cette liberté souligne superbement leur supériorité et l’aliénation d’Antonia.


 


 

En 2021, quand son film, La Fièvre de Petrov (1), a été présenté au Festival de Cannes, Kirill Serebrennikov était encore assigné à résidence sous divers prétextes. En 2022, il a été libéré le 28 mars, et réside à Berlin. Avec La Femme de Tchaïkovski, il a choisi un thème qui ne devrait pas l’exposer à quelque nouvelle censure du ministre de la Culture russe (2).

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°416, été 2022

1. "La Fièvre de Petrov", Jeune Cinéma n°412, décembre 2022.

2. En janvier 2022, Kirill Serebrennikov (qui fut, de façon très éphémère, directeur du Théâtre Gogol de Moscou en 2012) a mis en scène Le Moine noir, de Anton Tchekhov, au Thalia Theater de Hambourg. Le spectacle a été repris dans la Cour d’honneur du Palais des papes, lors du Festival d’Avignon 2022, et diffusé sur Arte.
Son dernier film, Limonov : The Ballad of Eddie, d’après le roman de Emmanuel Carrère, Limonov (POL, 2011, Prix Renaudot), est en post-production et devrait sortir prochainement.


La Femme de Tchaïkovski (Zhena Chaikovskogo). Réal, sc : Kirill Serebrennikov ; ph : Vladislav Opelyants ; mont : Yuriy Karikh ; son : Vasiliy Fedorov ; déc : Vlad Ogay. Int : Alyona Mikhailova, Odin Lund Biron, Miron Fedorov, Yuliya Aug, Filipp Avdeev, Filipp Avdeev, Ekaterina Ermishina (Russie, 2022, 143 mn).



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