home > Films > Milou en mai (1990)
Milou en mai (1990)
de Louis Malle
publié le mercredi 10 mai 2023

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°200, mars 1990

Sortie le mercredi 24 janvier 1990


 


On pouvait se demander comment Louis Malle allait rebondir après Au revoir les enfants (1). Un constat rassurant tout d’abord : il reste en France et continue à tenir dans notre cinéma la place indispensable qui est la sienne, c’est-à-dire celle d’un cinéaste exigeant capable de s’adresser au grand public.


 

Si son film précédent était tout entier imprégné du souvenir personnel et douloureux d’une expérience fondatrice de son enfance, Milou en mai lui offre la possibilité de parler de choses vécues mais regardées avec une plus grande distance, et donc de jouer sur un registre plus large. Cette chronique d’une famille réunie par les circonstances en plein cœur des événements de Mai 1968 lui permet de revisiter ce moment crucial de notre histoire récente où chacun, confronté au vent de l’Histoire, a dû se déterminer, et donc se démasquer.


 


 

Madame Vieuzac a la malencontreuse idée de trépasser alors qu’elle coupe ses oignons. Milou, le fils qui a toujours vécu à ses côtés, convoque la famille pour l’enterrement et pour régler les problèmes complexes de succession. Il veut garder la propriété intacte, d’ailleurs comment pourrait-on l’imaginer loin de ses écrevisses ? Sa fille Camille, grande bourgeoise bordelaise aime bien l’émeraude de la grand-mère et l’argenterie. Cette réunion de famille devient un microcosme de la France bourgeoise et provinciale confrontée à la tempête de 1968.


 


 


 

Nous sommes dans le Gers, loin de Paris où tout semble se jouer, si loin donc des événements et pourtant si près avec cette radio qui annonce les inquiétantes nouvelles d’une béance du pouvoir dans ces jours où De Gaulle vacillait dans ses certitudes quant au destin de la France. Pourtant l’onde de choc se propage au plus profond de cette campagne. Sous sa soutane, le curé cache un dangereux révolutionnaire. Un camionneur revient de Paris avec son chargement de tomates espagnoles qu’il n’a pu vendre et colporte les échos scandaleux de la libération sexuelle qui a transformé la Sorbonne en un gigantesque baisodrome. On frémit clans la vieille demeure du Gers, toute la tribu est titillée au point d’organiser une séance de travaux pratiques.


 


 


 

À la fin d’un pique-nique sous le chaud soleil d’un printemps estival, la grande famille se laisse aller à refaire le monde, rêvant un bref instant de transformer la propriété en un phalanstère utopique alors que, depuis la mort de l’aïeule, chacun s’efforce de sauvegarder ses intérêts dans l’héritage. Le naturel reviendra vite au galop après ce moment de laisser-aller idéologique.


 


 

Cette rencontre d’une famille avec l’Histoire n’est certes pas une nouveauté au cinéma. Pourtant, on n’a jamais l’impression que Louis Malle soit prisonnier d’un quelconque modèle. Surtout, à aucun moment il ne se laisse aller à ce qui pourrait être une amorce de thèse sur 1968. Même si tout le contexte irrigue le film, il ne transforme jamais les personnages en figures abstraites qui seraient chargés d’interpréter l’époque. Ils sont attachants, irritants, drôles comme de vrais personnages de cinéma, et on pourrait les retrouver dans un autre contexte, dans d’autres films de Louis Malle).


 


 

Simplement, le fait qu’ils se trouvent être confrontés à deux événements, familial et historique, exceptionnels leur ouvre la possibilité de révéler des aspects de leur personnalité qui autrement seraient restés enfouis. Milou en mai est un film réjouissant de la première à la dernière image. Le scénario manifeste une telle liberté qu’il peut se permettre d’intégrer dans un même mouvement harmonieux le politique, la comédie pure, la satire, la nostalgie, la tendresse, l’absurde, la psychologie, la poésie. Miracle d’équilibre, à aucun moment le film ne se disperse.


 


 


 

Louis Malle peut ainsi se permettre de faire réapparaître Madame Vieuzac, le temps de deux courtes scènes de rêve. Vers la fin du film, il peut faire entrer un couple de bourgeois très vieille France annonçant que le petit peuple va s’emparer de la propriété. Tout le monde prend alors le maquis dans un élan presque buñuélien.


 

État de grâce de toute l’équipe du film aussi. On ne sait trop à qui attribuer le mérite principal d’une telle réussite tant on sent que chacun (réalisateur, acteurs / actrices, directeur de la photo, musicien, etc.) a investi ce scénario de tout son talent, a donné libre cours à sa fantaisie, non pas pour tirer la couverture à soi mais pour en faire un grand moment de cinéma.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°200, mars 1990

1. "Au revoir les enfants", Jeune Cinéma n°184, novembre-décembre 1987.


Milou en mai. Réal : Louis Malle ; sc : L.M. & Jean-Claude Carrière ; ph : Renato Berta ; mont : Emmanuelle Castro ; mu : Stéphane Grappelli, Marcel Azzola ; déc : Willy Holt et Philippe Turlure ; cost : Catherine Leterrier. Int : Michel Piccoli, Miou-Miou, Michel Duchaussoy, Dominique Blanc, Bruno Carette, Paulette Dubost, Harriet Walter , Jeanne Herry François Berléand, Valérie Lemercier, Étienne Draber (France-Italie, 1990, 107 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts