La photographe Fanny Molins, lors des Rencontres de la photographie d’Arles, a suivi un atelier au thème libre, dirigé par Julien Magre. Elle raconte qu’elle avait l’habitude de photographier "la rue et les gens en mouvement, avec une certaine distance", et qu’il lui avait demandé de "s’approcher de ses sujets pour faire une série plus sensorielle, jusqu’à ce qu’on puisse entendre le comptoir, sentir l’odeur de l’éponge que l’on passe sur le zinc…"

Elle était partie pour suivre les habitués des petits bars, intéressée par la question de l’alcoolisme. Quand elle a rencontré l’Atlantic Bar, à Arles, elle y est restée et le tournage s’est étalé sur plusieurs saisons. On fait la connaissance de pittoresques figurants, dans leur vrais rôles pour la plupart. Il y a Nathalie, la tenancière qui habite sur place avec Jean-Jacques, fédératrice et solide, et son fils Sandro.

C’est un lieu de vie quotidienne, où on croise des souriantes vieilles peaux ensoleillées, des débrouillards plus ou moins marginaux ou délinquants. On passe à l’Atlantic plusieurs fois par jour, on y retrouve ses familiers, on y fête des anniversaires, on y joue à la belote.

C’est aussi un petit bar en déclin dans un quartier en déclin, comme le PCF, dont il était une base, est en déclin. Au cours du séjour de la cinéaste, le bar a été mis en vente avec tous les rebondissements qu’occasionne ce genre de perspective. Nathalie aborde avec lucidité tous les problèmes liés à l’échéance de son bail, avec Rose, son amie huissière de justice. Aura-t-elle les moyens de se défendre, de négocier un délai ou le prix, en s’engageant pour longtemps ? Elle n’est plus si jeune…

Le film est ostensiblement sympathique, mais la réalisatrice se départit mal de son regard distant d’ethnologue, entre scènes de bar et entretiens, malgré le consentement actif de ses personnages.

La posture est d’ailleurs assumée dans ses commentaires, où il est question de dévoiler l’individualité de "ceux qui n’existent que collectivement dans l’imaginaire commun", ou bien "d’un geste politique qui redonnerait une visibilité à des déclassés sociaux".

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°416, été 2022

Atlantic Bar. Réal : Fanny Molins ; sc : F.M. & Anaïs Tellenne ; ph : Martin Roux ; mont : Rémi Langlade ; mont son : Antoine Bertucci (France, 2022, 77 mn). Documentaire.