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Charisma (1998)
de Kiyoshi Kurosawa
publié le mercredi 5 avril 2023

par Roland Hélié
Jeune Cinéma n°259, janvier 2000

Sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 1999

Sorties les mercredis 8 décembre 1999 et 5 avril 2023


 


À la suite d’une poignée de distributeurs courageux, quelques critiques de cinéma ont entrepris de faire découvrir au public français un jeune réalisateur japonais, Kiyoshi Kurosawa, dont le nom prestigieux ne témoigne, il faut le redire, d’aucune parenté avec le père de Rashōmon (1). En ces temps où le débat sur la fonction critique fait rage, ce petit coup de pouce prend, on le concevra sans mal, un sens un peu particulier. Cette précision faite, il faut admettre que s’il n’est jamais trop tard pour bien faire, il était devenu urgent de découvrir un cinéaste prolixe qui, à quarante-quatre ans, a déjà signé une bonne vingtaine de longs métrages.


 

Nul ne doit s’en étonner. Des œuvres entières ne voyagent pas, restent captives de leurs frontières. Le Japon n’est pas le seul pays dont la cinématographie connaît des difficultés à pénétrer les circuits de distribution européens, mais il est probablement l’un de ceux qui, aujourd’hui, en éprouvent le plus. On en prendra pour preuve l’exemple de Kei Kumai, réalisateur, tout comme Kiyoshi Kurosawa, d’une vingtaine de titres. Et dont le public français a découvert, voici quelques années, La Mort du maître de thé, film fascinant d’une grande rigueur formelle, très bien accueilli par la critique. Puis plus rien... (2).


 


 

À la différence de Kei Kumai, Kiyoshi Kurosawa travaille le plus souvent dans une économie précaire et réalise des films de genre. Cela justifie peut-être aux yeux des distributeurs qu’il soit plus facile de l’exposer. Voilà pourquoi Cure (3) et Charisma sortent presque simultanément sur nos écrans.


 

Dans ce dernier film, Kiyoshi Kurosawa plante un arbre au cœur du Japon comme s’il s’agissait d’un décor destiné à occulter tous les autres. Au fin fond d’une forêt à l’agonie, se dresse un arbre étique, étrange. Autour de cette arbre tout à la fois maléfique et affaibli qu’on appelle "Charisma", des personnages agités d’ambitions antagonistes, vecteurs de forces contradictoires, vont s’affronter en une sarabande macabre.


 


 

Quelques-uns exigent sa destruction, d’autres au contraire en assurent à tout prix la protection. Une nuit arrive un étranger, Yabuike (Yasusho Koji), un brillant inspecteur de police relevé de ses fonctions à la suite d’une prise d’otage muée en désastre. Exilé dans cette forêt, en proie au doute, il découvre l’arbre et évalue les déchirements dont celui-ci est l’objet. Ainsi deviendra-t-il l’un des acteurs du conflit, catharsis qui le poussera à reprendre pied dans sa propre existence.


 


 

Œuvre métaphorique s’il en est, et polysémique, Charisma semble diagnostiquer un Japon malade, névrotique, écartelé entre ses rêves et ses cauchemars comme s’il y avait, à l’image du Danemark des légendes nordiques, quelque chose de pourri dans l’empire du soleil levant.


 


 

Protégé par un échafaudage, sous perfusion, l’arbre occupe le centre d’un théâtre mortifère où s’affrontent la tradition et la modernité, le refoulé atomique et la hantise d’un "tout nucléaire" apocalyptique, une économie sous assistance et la nostalgie de la prospérité, de justes préoccupations écologiques et une production industrielle effrénée... Charisma montre un pays en panne de projets, irrésolu comme peut l’être Yabuike, ignorant comment vivre dans la communauté des nations, déprimé par l’image qu’il se fait de lui-même.


 


 

Parler d’image revient à parler de cinéma. Le cinéma japonais ne va pas mieux que le Japon dont Kiyoshi Kurosawa brosse le portrait. Takeshi Kitano pourrait être l’arbre qui cache la forêt, la crise des grands studios n’en finit pas de dégénérer, la production dégringole, les indépendants fatiguent.


 

Le cinéma de Kiyoshi Kurosawa n’est pas immunisé, et lui aussi se montre sujet à des tiraillements, comme le montre son style, partagé entre l’abstraction pure et une sorte de méticulosité clinique assez fascinante. Cet entre-deux esthétique donne tout son prix à une œuvre qui - et c’est tant mieux - n’a pas fini de faire parler d’elle.

Roland Hélié
Jeune Cinéma n°259, janvier 2000

1. Rashōmon de Akira Kurosawa (1950).

2. Kei Kumai (1929-2007), entre 1964 et 2002, a réalisé 19 films, souvent sélectionnés et primés en festival. La Mort d’un maître de thé (Sen no Rikyû : Honkakubô ibun), Lion d’argent à Venise 1989, est le seul de ses films sorti en France, en 1991.

3. Cure de Kiyoshi Kurosawa (1997), également avec Koji Yakusho, est sorti à Paris dans le cadre du Festival d’Automne en 1997.


Charisma (Karisuma). Réal, sc : Kiyoshi Kurosawa ; ph : Junichiro Hayashi ; mont : Jun’ichi Kikuchi ; mu : Gary Ashiya. Int : Koji Yakusho, Hiroyuki Ikeuchi, Ren Ôsugi, Yoriko Dôguchi, Yutaka Matsushige, Masayuki Shionoya, Masahiro Toda, Jun Fubuki (Japon, 1998, 104 mn).



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