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Billard, Charlotte (livre)
Le Bateau à film (2020)
publié le mardi 25 octobre 2022

par Robert Grélier
Jeune Cinéma n°402-403, octobre 2020

Charlotte Billard, Le Bateau à film, Arles, éd. L’art-dit, 2020.


 


Un groupe d’amis décide de faire en voilier le tour du continent sud-américain pour réaliser des courts métrages d’animation et de prises de vues réelles avec des artistes locaux sur leurs rapports avec la mer.

Douze films (1) naîtront à partir de récits, élaborés aussi bien par les membres de l’équipage que par les partenaires associés à l’aventure. Il ne s’agit point du tourisme codifié des voyagistes et de leur milliard et demi de clients annuels, mais d’un véritable voyage, parfois périlleux, qui s’étala de mai 2017 à août 2018. Des voyageurs qui prennent le risque de vérifier si la planète est telle qu’on la décrit. Le désir de voir leurs rêves aboutir, d’aller où le vent les entraîne, d’agir et de penser sans contraintes.
Malgré toutes les nouvelles technologies - guidage par ordinateur, GPS et téléphone portable -, les voyageurs ne sont jamais sûrs de leurs rencontres lors des escales. À chacune d’elles, des membres de l’équipage quittent le bateau pour être remplacés par d’autres, qui très vite se rendront indispensables à la bonne marche du voilier, aux ateliers de dessins et de confection des films.

C’est parce que nous connaissons bien l’agglomération de Recife que nous nous attardons sur le court métrage O beijo (Le Baiser), issu de la rencontre avec cette ville, qui raconte une promenade à travers les sculptures du céramiste et peintre Francisco Brennand (1927-2019) (2). Le film se termine par le décollage de l’une de ses sculptures phalliques, comme s’il s’agissait d’une fusée. En observant cette fin, on ne peut manquer de penser à la réaction du maire de Recife, Roberto Magalhães, qui, en 1999, à la vue de ce totem phallique dédié aux "Cinq ans de la découverte de l’Amérique", avait eu l’intention de la détruire. Dans un accès de colère, il avait menacé de tuer le journaliste qui avait osé écrire sur son acte de censure. L’incident lui coûta sa réélection.

À l’occasion de l’attente du franchissement du canal de Panama - le trafic est tel qu’il faut parfois attendre plus d’une semaine pour obtenir l’autorisation d’emprunter les écluses -, l’auteure fait la connaissance de deux vidéastes américains qui, comme elle, filment leur aventure. La vision des courts métrages de dix à quinze minutes de ces deux experts en reportages cinématographiques est un choc pour Charlotte Billard. Elle est étonnée par les couleurs, les étalonnages et les cadrages parfaits qui s’intègrent harmonieusement avec des récits formatés pour les chaînes TV commerciales. Tout l’inverse de ce qu’elle réalise : des prises de vues brutes, jamais retouchées, recueillies au fil des mouvements du voilier. Une matière surchargée de croquis, de personnages, soit réels, soit dessinés. Une animation au ralenti les agrège. Elle montre tout, sans tricher, sans faire appel aux éléments simples de la construction cinématographique existant depuis l’âge d’or du cinéma muet.

"Il faut avoir du cran pour filmer un visage" avoue la rédactrice. Et cette force pour retranscrire une émotion, se rapprocher au plus près du ressenti, aller au-delà du réel, Charlotte Billard l’a-t-elle ? Par son écriture poétique, et en même temps très technique, l’écrivaine nous emporte dans son dépaysement. Dans une sorte de tourbillon, elle nous entraîne dans sa soif de découvrir, d’apprendre la beauté de la vie marine et des villes contacts. Des séjours à terre de quelques jours lui suffisent pour conférer à son récit des pages luxuriantes. Ses descriptions sont d’authentiques invitations aux voyages, bien loin des Guides bleus ou du Routard, catalogues de clichés et de superlatifs.
Synthèses historiques, confrontées à l’actualité, aux couleurs et aux bruits, répondent à notre besoin d’évasion. À Rio de Janeiro, elle écrit : "Partout les nuances de vert rejoignent les teintes de bleu, azur et marine", ou encore : "Rio ville animale, câline et hargneuse, tendre et dangereuse".
Comme Claude Simon, Charlotte Billard "écrit par curiosité". Dès que l’on pénètre dans ce récit romanesque, on ne le quitte plus, car on vit constamment le quotidien des femmes et des hommes embarqués sur La Tortuga. On assiste, comme si on était présent, aux épreuves de l’insomnie, aux démêlés avec les tempêtes, à l’administration portuaire. On suit, avec l’auteure, le soleil ocre aux lèvres chaudes, la lumière de l’horizon sur l’océan, l’auscultation permanente du temps, les plages de sable, les rochers enneigés et les entraves de la marche dans la forêt amazonienne.

Le livre Le Bateau à film mérite qu’on s’y arrête dans la mesure où le cinéma n’est jamais très loin.

Robert Grélier
Jeune Cinéma n°402-403, octobre 2020

1. Cf. le site.

2. À dater de 1971, Francisco Brennand réalisa des œuvres chargées de virilité. Admirateur de Fernand Léger (1881-1955) et de Antoni Gaudi (1852-1926), il se disait modeleur, refusant l’étiquette de sculpteur. Dans son sanctuaire à Várzea, d’une superficie de trois hectares – ancienne usine de céramique héritée de son père -, il exposa plus de deux mille pièces. Visité par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Jack Lang, Juscelino Kubitschek, Oscar Niemeyer, Fernando Henrique Cardoso et plusieurs centaines de milliers de personnes…


Charlotte Billard, Le Bateau à film. Récit d’une expédition entre aventure et cinéma, préface de Patrice Franceschi, Arles, éd. L’art-dit, 2020, 224 p



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