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Baetens, Jan (livre)
Pour le roman-photo (2010)
publié le samedi 6 mai 2023

par Alain Virmaux
Jeune Cinéma n°335, décembre 2010

Jan Baetens, Pour le roman-photo, Bruxelles, Impressions nouvelles, 2010.


 


Auteur récemment d’un ouvrage très dense sur "La Novellisation", dont on a dit ici les mérites (1), Jan Baetens a beaucoup travaillé et publié sur ce qu’il est encore convenu d’appeler la paralittérature. Et en particulier sur les formes littéraires qui entretiennent un lien avec la photo et le cinéma.
La tonalité adoptée par son titre - "POUR le roman-photo" - intrigue un instant. On serait en droit d’avoir oublié que Alain Robbe-Grillet, jadis, avait intitulé "Pour un nouveau roman-photo" sa préface à l’ouvrage de Edward Lachman & Elieba Lewine, Chausse-trappes, aux éditions de Minuit (1985). D’autres avaient parlé de "genre nouveau" (l’expression faisait alors florès) et le même éditeur bruxellois (que celui du présent livre) avait fait paraître, en 1987, À la recherche du roman-photo, cosigné par Benoît Peeters et Marie-Françoise Plissart (dont nous allons reparler). Ces diverses appellations, comme le "POUR" de Alain Robbe-Grillet et Jan Baetens, expriment un volontarisme, qui nous paraît aujourd’hui très représentatif des années 1970-1980. On rêvait alors avec passion de réhabiliter et d’introniser les genres supposés mineurs, comme justement le roman-photo (2).

Combat qui n’était pas gagné d’avance, et pour lequel il fallait s’attendre à de vives résistances. Jan Baetens avait qualifié la novellisation de "genre hybride" et, logiquement, il reprend l’expression pour désigner le roman-photo. Sans craindre de rappeler certains condamnations féroces dudit genre hybride. Telle cette formule assassine de Roland Barthes au sujet de Nous deux, le magazine qui s’était fait une spécialité des romans-photos sentimentaux les plus sirupeux : " Nous deux - le magazine - est plus obscène que Sade" (3).

Aussi Jan Baetens s’est-il employé à redresser l’image peu engageante du roman-photo, sans du tout chercher à faire l’impasse sur ses aspects les plus médiocres. D’où une enquête serrée et abondamment illustrée sur l’histoire du genre, avec maintes reproductions de planches d’époque - parfois savoureuses (apparitions de Jacques Chirac ou Mireille Mathieu comme personnages) -, et rapprochements bien conduits avec bande dessinée, ciné-roman, roman dessiné, films racontés, etc.

Ce qui conduit peu à peu jusqu’à la floraison inattendue des années 1980. Tout d’un coup éclosent plusieurs romans-photos d’une tout autre ambition que ce qu’on avait connu depuis 1947. Pas seulement le Chausse-trappes déjà signalé, sous le patronage de Alain Robbe-Grillet, mais encore, quelques années plus tard, ceux que conçurent (toujours pour les éditions de Minuit) Benoît Peeters (4) et Marie-Françoise Plissart. Avec, pour cette dernière, une œuvre publiée en 1985, Droit de regards, accompagnée d’une "lecture" de Jacques Derrida, volume réédité en 2010 à Bruxelles par les Impressions Nouvelles (5). Caution de poids, assurément. Mais, à défaut de s’y reporter, on jettera un œil sur la couverture du présent volume : les images proviennent d’un autre roman-photo d’elle, Aujourd’hui (1993). Il n’est pas nécesssaire d’être un grand connaisseur pour apprécier la qualité de ces photos-là, le soin extrême apporté au cadrage, aux lumières et même au montage. Rien à voir avec les décors passe-partout de Nous deux. On accédait à un tout autre univers. D’autres auteurs importants - Hervé Guibert, Pascal Quignard, Renaud Camus - se tournèrent vers le "genre hybride". Était-on aux portes d’une définitive transfiguration ?

Loyalement, Jan Baetens convient que ce n’est pas le cas, et que les tentatives pour donner au genre un nouvel élan "artistiquement correct" (sic) n’ont pas obtenu "le succès escompté". Il attribue ce reflux à des raisons économiques et à l’apparition de formes narratives concurrentes : "essentiellement le soap et les reality-shows".
Mais il se refuse à désespérer d’un genre qui n’a d’ailleurs pas disparu et qui pourrait bien un jour tenir les brillantes promessse qu’on lui prêtait naguère. Après tout, dans le vaste registre de la paralittérature, la bande dessinée et la science-fiction ont réussi leur basculement, et sont aujourd’hui considérées comme des genres pleinement autonomes. Pourquoi n’en irait-il pas de même, un jour prochain, du roman-photo ? Si la métamorphose advient, nul doute que le remarquable travail de Jan Baetens en aura faclité l’approche.

Alain Virmaux
Jeune Cinéma n°335, décembre 2010

1. Jeune Cinéma n°324-325, été 2009.

2. Sur les romans-photos à tonalité parodique, tendance Hara-Kiri, le livre propose un intéressant développement (p. 43). Signalons au passage que les premiers romans-photos de Gébé, "Malheur à qui me dessinera des moustaches", parus dans Hara-Kiri entre 1962 et 1966, viennent d’être réédités aux éd. FLBLB, à Poitiers (144 p.).

3. Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Paris, Seuil 1977.

4. Benoît Peeters, le complice de Marie-Françoise Plissart pour Droit de regards, mérite aussi l’attention pour ses riches et multiples activités. Cinéaste, romancier, essayiste, il a publié plusieurs biographies de renom - Hergé, Paul Valéry, Jacques Derrida - la dernière ayant été suivie d’un livre de réflexion sur ce travail : Trois ans avec Derrida. Carnets d’un biographe (Flammarion, 2010), qui généra quelques remous. Mais l’homme se situe éloquemment au carrefour de divers modes de création.

5. Les mêmes Impressions Nouvelles viennent de publier par ailleurs un livre dont le titre pourrait laisser perplexe : Paul Otlet (1868-1944), fondateur du "Mundaneum". Quid du "Mundaneum" ? Ce serait, apprend-on, une sorte d’ancêtre d’Internet, un Google de papier, mais à vocation pacifiste. Paul Otlet était un utopiste, qui œuvra en concours étroit avec son ami Henri La Fontaine. Lequel avait reçu le Prix Nobel de la Paix en 1913. Oui, ce prix-là justement cette année-là : sinistre ironie d’un tel rapprochement…


Jan Baetens, Pour le roman-photo, essai, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2010, 240 p.



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