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Bread and Roses (2000)
de Ken Loach
publié le jeudi 25 juin 2015

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°265, décembre 2000

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2000

Sortie le mercredi 25 octobre 2000


 


Les réactions de la critique au dernier film de Ken Loach lors de sa présentation à Cannes ont révélé des réticences tant sur son contenu que sur sa forme. Un tel rejet s’était déjà manifesté avec Fatherland (1986) dont la carrière française avait été écourtée. Espérons que le public ne se laissera pas trop influencer et aura envie de se faire sa propre opinion. Vu hors festival, on comprend ce qui dans le climat d’une critique largement dépolitisée peut expliquer la froideur cannoise. Oui, Bread and Roses est un film engagé. Tous les films de Ken Loach le sont. Oui, il reste fidèle à lui-même, à ses idées, à un moment où il est de bon ton de renier ce à quoi l’on a cru. Oui, il est allé tourner aux États-Unis. Mais il a gardé ses collaborateurs, sa structure de production et il n’a rien cédé à Hollywood. Les damnés de la terre que ses films mettent en scène ne sont plus seulement issus de la classe ouvrière anglaise. Ladybird (1994) et Carla’s Song (1996) introduisaient des exilés politiques latino-américains aux côtés de ses personnages traditionnels. La dimension internationale des conflits sociaux et des drames individuels constitue une réalité, et le cinéma de Ken Loach s’en empare tout naturellement.


 

Cette fois-ci, il s’intéresse au sort des Mexicains qui vont travailler clandestinement aux États-Unis, en l’occurrence en Californie. Bread and Roses commence par une scène filmée caméra à l’épaule qui suit le passage de la frontière par des clandestins mexicains. Le style, inhabituel pour l’auteur, s’adapte à la situation et lui donne un caractère d’urgence. Rapidement, une jeune femme, Maya, devient le personnage central. Ken Loach suit ses tribulations face à des passeurs escrocs, dans sa recherche d’un travail dans une entreprise de nettoyage qui exploite ces clandestins. Et comme à son habitude, le destin de Maya épouse celui du groupe et permet de révéler une situation dans un mélange de fiction et de documentaire. C’est d’abord les conditions de travail, la lutte de ces clandestins aidés par un jeune Américain, Sam, pas tout en fait en phase avec son appareil syndical. La lutte débouche sur une grève victorieuse au cours de laquelle apparaît le slogan des ouvriers du textile du Massachusetts lors de leur longue grève de 1912 : "Nous voulons du pain et des roses".


 

Ainsi, cette lutte s’inscrit dans une continuité historique à un moment où les théories sur la fin de l’Histoire nient l’existence de courants prêts à surgir là où on ne les attend pas, dans une Amérique du libéralisme triomphant, chez des immigrés sans passé syndical. Ken Loach revendique pleinement cet héritage contre un air du temps porté à l’oubli. Surtout, il ne se contente pas d’un simple point de vue militant. Ses personnages sont forcément plus complexes, traversés par des élans qui ne relèvent pas uniquement du politique au sens étroit du terme. Les relations de Maya avec Sam, le personnage de Ruben, le jeune Mexicain qui veut faire des études, la tragédie de Rosa (la sœur de Maya) enrichissent considérablement la trame du film.


 

Les personnages de Ken Loach ne sont pas des porte-drapeaux, ils existent en tant qu’hommes et femmes. Le scénario se nourrit de cette épaisseur humaine. La scène d’explication entre les deux sœurs puise aux sources du mélodrame, celle du vol dans la station-service relève de la pure comédie. La vie est un mélange des genres. Tout le cinéma de Ken Loach en porte témoignage, Bread and Roses tout autant que ses films purement anglais.


 

Le trajet américain de Maya ne se termine pas sur la victoire des grévistes mais sur la réalité vécue par nombre de clandestins mexicains avec le retour à la frontière sous escorte policière. On se doutait que Ken Loach ne tomberait pas dans le piège du rêve américain, ni dans celui du rêve syndical d’ailleurs. Malgré ses convictions, il n’est pas prêt à tordre le réel pour le plier à un idéal. Le pain et les roses ne sont pas encore au bout du chemin, même s’il est parsemé de petits combats et de petites victoires.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°265, décembre 2000


Bread and Roses. Réal : Ken Loach ; sc : Paul Laverty ; ph : Barry Ackroyd ; mont : Jonathan Morris ; mu : George Fenton. Int : Pilar Padilla, Adrien Brody, Elpidia Carrillo, Jack McGee, Lillian Hurst, Robin Tunney, Ron Perlman, Tim Roth, Chris Penn, William Atherton, Oded Fehr, Vanessa Angel, Stephanie Zimbalist, Stuart Gordon (Grande-Bretagne, 2000, 110 mn).



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