home > Films > Pornomelancolia (2022)
Pornomelancolia (2022)
de Manuel Abramovich
publié le mercredi 21 juin 2023

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°423, été 2023

Sélection du Festival international de San Sebastian 2022

Sortie le mercredi 21 juin 2023


 


Si l’on cherchait une illustration pour le célèbre hémistiche de Stéphane Mallarmé, "La chair est triste hélas", repris par Ovidie, l’ex-actrice porno, qui en fait le titre de son dernier livre, on la trouverait dans ce film. Oui, elle est triste cette chair exhibée dans les films pornographiques gays, ou plutôt elle rend triste le modèle qui, pour quelques pesos, se dénude sous les sunlights pour être regardé par ceux qui, dans l’obscurité de leur chambre ou d’un sex-shop, les admireront avec un brin de mépris et peut-être de honte.


 

Quand il ne travaille pas à l’usine, Lalo est un sex-influenceur mexicain qui se met en scène nu pour ses milliers de followers. Il devient acteur porno dans un film sur la révolution, Pornozapata.


 


 


 

Manuel Abramovich, né en Argentine en 1987, est un réalisateur, artiste et directeur de la photographie. Son œuvre explore les différentes manières de mettre en scène l’intimité. Dans ses films, des personnes ordinaires deviennent des personnages. Et c’est le cas ici de Lalo qui joue son propre rôle puisqu’il est, dans ce film comme dans la vie, un acteur pornographique et un sexmodel sur les réseaux sociaux. Mais, dans la réalité, il semble vivre dans une mélancolie constante, le vrai sujet du film.


 

Pour son septième film, après des documentaires sur les soldats ( Soldado, 2017), et sur des prostitués travestis roumains à Berlin ( Blue Boy, 2019), le réalisateur continue d’explorer la vie comme la scène d’un théâtre. Cette solitude de Lalo, personnage à la fois réel et virtuel, ressort encore mieux dans la structure même de ce film "méta", tourné pendant le tournage d’un film pornographique qui raconte de façon obscène et crue la vie du héros local, Emiliano Zapata, tandis que Lalo est lui-même épié tout au long de ses prestations et conversations sur Internet grâce à une application.


 

Certaines images sont difficiles à regarder même si tout érotisme a été gommé, comme pour ne laisser paraître que la chair exhibée dans ce qu’elle a de plus intime. C’est Ô Solitude de Henry Purcell qu’on devrait entendre tout au long de ce film, dans les yeux et les poses de Lalo qui ne s’ennuie même pas, qui attend seulement que la vie commence. Il s’agit certes d’une observation du milieu de la pornographie et des influenceurs virtuels, mais c’est surtout un film puissant sur la condition des travailleurs.


 

Au début, on voit Lalo à l’usine avec ses collègues puis, après son casting, sur le plateau d’un film porno. Quelle différence y a-t-il entre ces deux emplois ? semble se demander le réalisateur. La réponse est sans doute écrite sur le visage impavide et émouvant de l’acteur malgré lui : "À travers le visage de Lalo, déclare le réalisateur, on a accès à son monde intérieur et à ses émotions, qui sont parfois un peu détachées de son corps et de son sexe. Le regard à la fin du film est un regard complice, adressé au spectateur". La seule chose qui signe l’humanité en lui.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°423, été 2023


Pornomelancolia. Réal, ph : Manuel Abramovich ; sc : M.A., Fernando Krapp & Pio Longo ; mont : Juan Soto Taborda, Ana Remon. Int : Lalo Santos, Diablo, Brandon Ley (Agentine-France-Brésil-Mexique, 2022, 94 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts