Nous avions traîné avant d’aborder ce pavé de 600 pages, persuadé qu’il était peu probable de découvrir quelques éléments non explorés par les 68 biographies, études, exégèses, souvenirs et témoignages que nous connaissons (encore ne s’agit-il que de la partie accessible ici du continent critique).
Erreur, puisque l’auteur a fouillé les coins et recoins d’un itinéraire sans limites, multipliant les angles d’attaque, retrouvant des traces de la petite enfance ou des émois d’adolescence - certaines déjà décelées dans les biographies US mais inédites dans les françaises -, et suivant le périple du NET (Never Ending Tour) avec attention.
L’accent est plutôt mis sur les concerts, sans entrer dans le détail des prestations (les 3162 set-lists depuis 1988 sont disponibles sur les différents sites dédiés), mais en notant les raretés, chansons interprétées une fois en vingt ans, intervention imprévue d’un guitariste ami ou coupure d’électricité en direct.
La recension s’arrête à la tournée post-confinement et à l’analyse du dernier Rough and Rawdy Ways et à cet abîme de références qu’est Murder Must Foul, plus longue chanson de l’Histoire.
Pas d’hagiographie : François Guillez sait reconnaître les périodes maigres, n’hésite pas à citer les emprunts, poétiques ou musicaux, du grand récupérateur qu’est Bob, ou noter les points restés obscurs ou les diverses fausses pistes qui parsèment le volume 1 des Chroniques (2004), ou encore le dernier "documentaire" de Martin Scorsese, The Rolling Thunder Review (2019). En bref, un livre tout à fait fréquentable.

On pourra en accompagner la lecture en savourant, enfin, le CD de Shadow Kingdom, l’étrange concert privé enregistré, images et sons, au printemps 2021, et diffusé en juillet de la même année sur les chaînes TV - en réalité faux concert, filmé pendant sept jours dans un club (fermé pour pandémie) de Santa Monica, avec quelques musiciens (dont des vieux de la vieille comme T-Bone Burnett et Don Was). Concert court (moins d’une heure) mis en scène par Alma Har’el, documentariste multi primée, qui ne s’est pas contentée de capter au mieux la performance, mais en a fait un somptueux film en noir & blanc brumeux, ajoutant à la musique une étonnante dimension.

Curieusement, alors que Bob Dylan en concert privilégie désormais les chansons de son dernier album, interprétées straight, les quatorze titres de Shadow Kingdom retournent aux fondamentaux (le sous-titre du film est d’ailleurs "The Early Songs of Bob Dylan"), empruntés aux vinyls historiques, entre Its’ All Over Now, Baby Blue (Bringing All Back Home, 1965) jusqu’à What Was It You Wanted (Oh Mercy, 1989). Fondamentaux comme d’habitude revisités, c’est-à-dire peu reconnaissables à première écoute, mais sans cette volonté de concasser la chanson originelle qui rend parfois pensifs les amateurs les plus fidèles.

Rien de tel ici. Simplement une façon neuve d’aborder des titres lointains, certains quasiment négligés - Pledging My Time, une seule version live depuis 1997), en les interprétant comme des chansons nouvelles : Tombstone Blues passe d’un tempo hard à un blues parlé, la délicate ballade country I’ll Be Your Baby Tonight devient un rock saignant, de la même façon que la méditation sur l’écoulement du temps de Watching The River Flow s’accélère face au torrent. Transformation mélodique qui modifie parfois le sens de la chanson, atténuant ainsi la tristesse de constat de It’s All Over Now, Baby Blue.
Demeurent presque intacts The Wicked Messenger et, évidemment, Forever Young, au message toujours identique et efficace, quel que soit le rythme choisi.
En prime, un inconnu, Sierra’s Theme, manifestement récupéré des partitions non utilisées par Sam Peckinpah pour la bande musicale de Pat Garrett and Billy the Kid (1973) Le film est disponible en streaming, en attendant une très hypothétique version DVD. En attendant (mais quand ?) le volume 18 des Bootlegs Series - never ending treasure.

Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

François Guillez, Bob Dylan, une biographie, Rosières-en-Haye, Camion blanc, 2021.