home > Films > Filles d’Olfa (les) (2023)
Filles d’Olfa (les) (2023)
de Kaouther Ben Hania
publié le mercredi 5 juillet 2023

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°423, été 2023

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2023

Sortie le mercredi 5 juillet 2023


 


Le fait divers a, paraît-il, remué la Tunisie : en avril 2016, Olfa Hamrouni a annoncé que deux de ses quatre filles, Rahma et Ghofrane, les plus âgées, étaient parties rejoindre les forces de Daech en Lybie, où elles avaient d’ailleurs été arrêtées et emprisonnées. Il y avait là matière à fiction - sans doute compliquée à scénariser, car demandant d’adopter un point de vue précis (soutien ou condamnation des adolescentes ?), et nécessitant des moyens importants. Et traiter la situation sous un aspect documentaire n’était pas simple non plus, puisque deux des protagonistes de l’histoire en étaient absentes : il fallait filmer le vide.


 

Le "dispositif" - ce terme, un peu trop passe-partout désormais, convient parfaitement ici (1) - imaginé par Kaouther Ben Hania était astucieux, mais délicat à mettre en œuvre : dans l’optique prétendue de la préparation à un film de fiction recréant l’évolution familiale qui expliquerait ce départ, elle a convoqué trois comédiennes, destinées à remplir les rôles de la mère, censée être trop éprouvée pour jouer son propre rôle, et des filles disparues.


 

Elle les a ensuite toutes confrontées, afin que les personnes réelles conseillent les actrices pour que leur future interprétation soit crédible. Astucieuse, cette proposition d’un jeu de miroirs peu à peu dévoilés. Délicate, car en dirigeant deux vraies sœurs, deux fausses, et deux mères, toujours à l’image, la réalisatrice risquait de se prendre les pieds dans le tapis ainsi tissé au fur et à mesure.


 


 

Le film n’abat pas ses cartes tout de suite. Mais une fois passée la période de flottement - qui est vraiment qui et qui fait quoi ? -, la narration, sans être limpide (heureusement), devient tout à fait lisible et le jeu de va-et-vient entre les vraies et les fausses filles et le double personnage de la mère ne surprend plus. Tout devient naturel, à la fois drôle (lorsque les deux Olfa se corrigent mutuellement) et touchant (lorsque les vraies sœurs décrivent aux fausses leurs rapports avec les disparues).


 


 

L’identification entre les deux comédiennes et les sœurs enfuies est même troublante, car les rapports entre les quatre adolescentes sont parfaitement justes, mais sans jamais qu’on oublie le réel et sa reconstitution. Le déroulement progressif des événements, entre retours en arrière, jeu sur le présent et confidences, est fait de façon fort habile - on en arrive à confondre parfois Olfa et sa doublure.


 


 

Le sujet a déjà été traité (mais pas très souvent) et le sera assurément encore. Mais rarement de manière aussi inventive, sous ce format et avec cette puissance. Il faut dire que la réalisatrice n’est pas n’importe qui : La Belle et la Meute (Un Certain regard 2017) est un des films les plus terrifiants que l’on connaisse sur le viol et ses conséquences. Kaouther Ben Hania n’a certainement pas fini de nous étonner.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°423, été 2023

1. Notons que trois films de la sélection cette année - outre celui-ci, La Mère de tous les mensonges de Asmae El Moudir, et Little Girl Blue de Mona Achache - étaient des essais personnels bâtis de manière innovante, louvoyant entre documentaire et fiction.


Les Filles d’Olfa (Four Daughters). Réal, sc : Kaouther Ben Hania ; ph : Farouk Laridh ; mont : K.B.H., Jean-Christophe Hym & Qutaiba Baramji ; mu : Amine Bouhafa. Int : Olfa Hamrouni, Hend Sabri, Eya Chikhaoui, Teyssir Chikhaoui, Nour Karoui, Ichraq Matar (France-Tunisie-Allemagne, 2023, 107 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts