Luise est le troisième long métrage de fiction de Matthias Luthardt, après Pingpong (2006) qui avait été remarqué à Cannes, et Der Tag an dem ich meinen toten Mann traf (2008), un téléfilm. Le réalisateur avait suivi un cursus universitaire franco-allemand avant d’étudier le cinéma à Babelsberg puis à la Fémis. Après être passé de la fiction au documentaire, il revient à ce genre. Le film adapte librement la nouvelle de D.H. Lawrence, The Fox, écrite en 1918 et remaniée en 1922, qui met en scène un couple de femmes sur fond de Première Guerre mondiale. L’action chez D.H. Lawrence se déroule dans le Berkshire, au sud de l’Angleterre où les protagonistes, se sont retirées pour élever des poules. À cause du renard qui rôde, leur entreprise bat littéralement de l’aile. Leur relation s’en ressent.

En 1967, Hollywood s’était déjà intéressé au sujet. Mark Rydell avait gardé le titre originel, The Fox, pour réaliser un film à succès, notamment en raison de la hardiesse du thème. Il avait transposé le récit au Canada, à l’époque actuelle. Matthias Luthardt et son coscénariste Sebastian Bley situent l’histoire en 1918, tout comme l’auteur, mais la délocalisent en Alsace alors allemande, et modifient les personnages, à commencer par leur prénom. Luise est ici une paysanne qui vit seule à l’écart du village depuis la mort de sa mère. La violence fait irruption chez elle avec l’arrivée d’une jeune Française, Hélène, poursuivie par un soldat. Pour échapper à un viol, elle vient de poignarder un militaire allemand et de tirer une balle dans le genou d’un autre, lancé à sa poursuite.

Or celui-ci, Hermann Kruse, comme on l’apprendra, se voit suspecté par ses supérieurs qui ne peuvent croire qu’une femme soit à l’origine du meurtre. Il se sait menacé d’un tribunal militaire. Au capitaine qui le fait rechercher, Luise cache sa présence, tout comme elle lui ment sur la nationalité d’Hélène. Elle se montre forte d’un profond sentiment religieux que souligne la croix en or qu’elle porte autour du cou. L’amour de son prochain prime sur l’obéissance à l’autorité. Elle les accueille tous deux à la ferme.

Naturellement, l’intrusion des fugitifs amène désordre et transgression. Si Hélène aide Luise dans les travaux des champs, elle conteste l’existence de Dieu et l’initie à la sexualité. Quant à Hermann, il garde toujours son fusil à portée de main, à la fois béquille et figuration du phallus. Il se révèle voyeur. Sa jalousie par rapport aux relations des deux femmes l’incite à imaginer une stratégie : il tente de charmer Luise, qui est en outre la propriétaire des lieux.

Il semble y parvenir lorsqu’il abat, puis dépèce le renard devant ses yeux. Ce sacrifice animal et son boniment bien-pensant condamnant les relations interdites produisent leur effet : elle lui cède - sans grands transports. Peut-être a-t-elle simplement tenté une démarche expérimentale, car, dès le lendemain, elle revient à Hélène et projette de partir avec elle.

Paradoxalement, les cloches, qui sonnent alors l’armistice, annoncent un climax de violence à l’intérieur du triangle. Tourné dans les Vosges, avec ses paysages de prés en pente et ses sombres forêts d’épicéas, Luise est remarquablement interprété par la jeune… Luise Aschenbrenner, et par Christa Théret, mystérieuse à souhait.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°423, été 2023

Luise. Réal : Matthias Luthardt ; sc : M.L. & Sebastian Bleyl, d’après la nouvelle The Fox de D.H. Lawrence (1922) ; ph : Lotta Kilian ; mont : Florian Mosge ; mu : Peteris Vasks & Matthias Petsche. Int : Luise Aschenbrenner, Christa Théret, Leonrad Kunz (France-Allemagne, 2022, 99 mn).