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Berlin 2008 I
Compétition officielle
publié le dimanche 22 février 2015

Berlin, février 2008, 58e édition
Compétition officielle

par Heike Hurst et Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°315-316, printemps 2008

Black Ice (Musta jää) de Petri Kotwica (2007)

C’est un film compliqué dont le thème est la jalousie maladive. L’axe porteur du film est le personnage d’une gynécologue de 50 ans très confirmée dans son travail. Elle découvre un jour la relation secrète de son mari et d’une très jeune fille, Tuuli, qui dirige un club de combat à la japonaise.
De très belles séquences mais qui n’ont aucun rapport avec le sujet. Tout reste indécis. Scara, la gynécologue, est terriblement jalouse, mais elle fréquente Tuuli, histoire de la surveiller, et finalement elle est attirée par la jeune fille. Le personnage du mari reste flou, il est vu par les autres personnages mais on ne sait pas s’il est vraiment amoureux. Quant à Scarra, elle se sent très attirée par la jeune fille et elle pourrait accepter une liaison homosexuelle. (Finlande Danemark).

Chaos calme (Caos calmo) de Antonello Grimaldi (2008

Le début est curieux : une femme qui restera anonyme s’évanouit sur une plage, Pietro Paladini se précipite pour l’aider tandis que sa femme qui ne sait pas nager, et marchait simplement dans l’eau, est emportée par un courant et se noie.
Pietro - un Nanni Moretti (également scénariste) au visage immobile, aux yeux sombres, dans un de ses plus beaux rôles - commence alors à se comporter étrangement. Il s’installe sur un banc devant la fenêtre de l’école où va sa fille, jusqu’au moment où elle rentre à la maison. Ses amis, ses collègues viennent le voir, avant et après leur travail, pour lui parler, lui proposer un meilleur poste. Il refuse et répète : "Ma femme est morte", avec, tout au long, le même visage fermé.
Quasi mutique, il regarde passer tous les jours à la même heure un garçon retardé qui lui sourit et le salue, une jeune fille qui promène un énorme chien. Le tout baignant dans une intensité muette, malgré l’absence presque totale d’action.
C’était un des thèmes récurrents de la Berlinale : une histoire de famille et l’arrivée de la mort, une mort obsédante et la présence du disparu. (Italie)

Cherry Blossoms - Hanami de Dorris Dorrie (2008)

Un récit d’amour fou, sur la mort d’un proche, le deuil, et la présence de l’être disparu. Un très long et clair préambule définit les éléments du film : Rudi, sérieux fonctionnaire de 60 ans et Trudi, qui a abandonné ses espoirs de jeunesse, vivent des jours, tous égaux, de bourgeois tranquilles. Rudi ignore que qu’il est en danger, qu’il n’a plus que deux ans de survie. C’est un homme d’habitudes, qui ne quitte que rarement son grand manteau et son chapeau bavarois.
À l’époque des vacances, ils partent au bord de la Baltique. La mort soudaine de Trudi laisse Rudi totalement désemparé. L’idée lui vient d’aller voir ce Japon qu’il voulait découvrir avec elle. C’est accompagné de l’esprit de la morte qu’il part là-bas. Il trouve un petit hôtel, va voir les danses du Hanami découvertes au bord de la Baltique. Il va voir tout ce qu’aurait aimé sa femme. Une jeune Japonaise l’aide à se promener alors qu’il ne comprend pas la langue et se perd dans la ville. Un plan surréel le montre à côté de Trudi, regardant les cerisiers, les pétales qui tombent et les ébats des danseuses. Hannelore Elsner joue au cinéma depuis trente ans chez Rudolf Thome, Dani Lévy, Oliver Hirschbiegel, Oskar Roehler et Edgar Reitz. Elmar Wepper a 60 ans ; acteur à 13 ans, il a beaucoup travaillé à la télévision et spécialement dans la série policière des Tatort. (Allemagne)

Elegy de Isabel Coixet (2007)

Les deux films précédents d’Isabel Coixet traitaient de la mort et de la maladie.
Elegy conte une relation amoureuse spéciale, l’amour fou d’un homme de 60 ans, professeur d’université pour une fille de 30 ans, une de ses brillantes élèves.
Le sujet est emprunté au bestseller de Philip Roth. Le professeur, David Kepesch (superbement interprété par Ben Kingsley), est célèbre, il intervient à la télévision, est adulé par ses élèves et spécialement par les jeunes filles qu’il met cependant à distance.
Tout bascule quand arrive à son cours Consuelo, une étudiante de haut niveau - Penélope Cruz, également superbe, quoique moins adaptée à son personnage. À partir de là, le récit s’enferme dans un kammerspiel, interrompu parfois par le fils du professeur, qui pense qu’une liaison doit être courte, et les collègues de Kepesch qui essayent de le dissuader de cet amour fou. Consuelo, cependant garde sa liberté et, un jour, disparaît. Kepesch dans son désespoir se plonge dans son travail, multiplie ses conférences et les interviews. Six ans plus tard, elle revient, mais c’est pour mourir. (USA)

The Elite Squad (Tropa de elite) de José Padilha (2007)

José Padilha voulait faire un documentaire qui aurait raconté toute l’histoire du BOPE, unité d’élite de la police brésilienne, depuis sa création, mais les policiers n’étaient pas d’accord pour s’exposer dans un film.
Tropa de elite s’organise donc finalement autour du personnage du capitaine Nascimento, qui découvre les tourments de sa conscience et traverse une crise identitaire quand il devient père.
L’intrigue raconte la guerre sans merci que se livrent dealers ou patrons de la drogue et policiers plus ou moins corrompus : un policier intègre peut-il exister et espérer survivre dans un tel climat de violence ?
Résultat : des scènes insoutenables de tortures et d’humiliations collectives, montrant l’entraînement de ces troupes habillées de cuir et arborant une tête de mort, rappelant bien plus les escadrons de la mort que le corps d’élite d’une police d’État.

Padilha, qui ne comprend pas pourquoi on attaque son film, célèbre avec complaisance la violence qu’il prétend critiquer, une violence qui se déploie en permanence et agresse le spectateur autant par ce qu’il voit que par ce qu’il entend. Esthétiquement, le film procède par caméra affolée et vidéo-clips, donc l’effet télé domine.
Ceci dit, le film a quand même un tempo précis, différents personnages retiennent notre attention, au moins en première partie. Mais tout pêche par excès de simplification : deux policiers débutants, des membres d’une ONG, un noir dans une université où l’intégration a été ratée, l’épouse inquiète, l’étudiante naïve n’arrivent pas à dépasser les stéréotypes.
Pour justifier sa place au palmarès (l’Ours d’or), le jury affirme que le film aurait été choisi pour ses qualités démonstratives de l’horreur objective de la situation dans les favelas - une thèse pour le moins controversée. (Brésil)

Gardens of the night de Damian Harris (2007)

Un film terrible sur les enfants abandonnés ou volés livrés à la prostitution.
Le film raconte le calvaire de la petite Leslie qui est cherchée à la sortie de l’école par des "amis" de sa famille. Elle est droguée, se réveille dans une petite chambre où se trouve un autre enfant, un petit garçon qui aura le même sort qu’elle. Leur amitié les aide à supporter les sévices et les viols. Leslie croit que sa famille l’a abandonnée et livrée à ses bourreaux.
On la retrouve jeune fille. Désormais à son compte, elle cherche à retrouver une vie normale. Elle a, comme soutien, le médecin psychiatre du centre de San Diego qui l’aide à retrouver ses parents, qui n’ont jamais disparu et n’ont jamais voulu éloigner leur enfant. La séquence des retrouvailles démontre que le monde bourgeois, les parents, les cousins, les amis ne sont plus capables de lui redonner son ancienne identité. Elle se lève la nuit et avec son léger bagage part à l’aventure.
Aucun pathos, une vision froide du malheur, le ton d’un documentaire, le jeu sec des deux enfants dans la première partie. (USA-GB)

In Love We Trust (Zuo You) de Wang Xiaoshuai (2008)

Recompensé à Berlin par le prix du meilleur scénario : Zuo You (In Love We Trust) propose un sujet excessivement compliqué.
Un enfant d’un premier mariage, souffrant de leucémie, cherche donneur.
Ni le père, ni la mère ne conviennent, la mère décide donc de refaire un deuxième enfant avec le premier mari parce qu’on lui a dit que seul un frère ou une sœur de l’enfant malade pourrait être un donneur. Le père de l’enfant s’est remarié depuis. La mère aussi vit avec un homme qui s’est attaché à cet enfant et l’élève comme si c’était le sien. La fécondation in vitro ne marche pas, mais la mère s’obstine. Facile d’imaginer la difficulté de la situation pour les deux couples impliqués : on pourrait dire que tout s’arrange, mais ce script nous met, par moments, à rude épreuve. L’invraisemblance de la situation est transposée avec une telle maîtrise dans la mise en scène qu’elle concerne les relations, les lieux et les situations.
La "solution" envisagée, si folle soit-elle, emporte notre adhésion.
Rarement on aura vu des gens se sortir avec autant de détermination et de dignité d’un tel amas de problèmes. Notre admiration va à cette "mère courage" pas comme les autres, mais aussi à ce réalisateur qui montre une Chine agitée, fébrile, en pleine crise de construction avant les Jeux, tout comme l’agitation extérieure qui envahit la sphère intime de toutes les personnes impliquées dans ce drame humain.
Quelle élégance dans la réalisation, quelle charge émotionnelle : l’appartement témoin que la mère fait visiter en tournant sans fin à droite, à gauche etc., ce lieu sans âme participe et devient "témoin" de la réalisation-création d’un autre être, censé sauver peut-être, un jour, l’enfant malade. Prix du meilleur scénario. (Chine)

Lake Tahoe de Fernando Eimbcke (2008)

Tourné dans le Yucatan, le film s’inscrit avec ses couleurs fondamentales (voiture rouge, pantalon noir, chemise blanche) dans un paysage humain désolé, dépeint un village pittoresque mais vide : une cabine téléphonique, un vélo trottinette et le climat de tristesse générale qui suit le deuil d’un parent proche, ici le père. Cette mort n’est pas évoquée directement, elle habite les traits du jeune garçon qui part avec l’auto familiale pour fuir l’ambiance sinistre et se plante contre un poteau.
Le film ne raconte rien d’autre que la recherche d’une pièce de rechange pour la voiture, réparation impossible de l’auto et du deuil. Tout s’oppose à l’immédiateté de cette réparation. Le film évolue dans la lenteur de la prise de conscience de l’irrémédiable. En cherchant sa pièce, Juan fait connaissance avec le microcosme du village, rencontre toutes les générations.
C’est dans ces rencontres que s’élabore un autre film, décalé. Il change de ton, il hausse la voix, devient enjoué et drôle. L’immobilisme qui caractérise presque tous les personnages, les uns parce qu’ils sont vieux, d’autres parce qu’ils aimeraient faire autre chose et le partager avec Juan (invitation au déjeuner ou regarder une cassette), est bousculé par les besoins de la vie : un bébé à endormir, un chien à promener, une musique à écouter, une poussée de chansonnette énergique et pathétique, les exemples abondent pour que la vie, si pauvre soit-elle, revienne au premier plan. L’utilisation fréquente des fondus au noir acquiert un sens : Juan doit revenir chaque fois du fond du trou noir de désespoir, d’où il croyait s’évader en voiture, pour reprendre son élan, continuer à marcher, reprendre vie. Et certainement aussi, réparer cette auto qui ne lui appartient pas. (Mexique)

Night and Day (Bam Gua Nat) de Hong San-soo (2008)

Hong San-soo réussit à tourner à Paris un film habité qui ne perd rien de sa spécificité coréenne.
Exactement là où Hou Hsiao-Hsien échoue avec Le Ballon rouge, il réussit à faire une œuvre personnelle, forte même, sur un homme égaré dans une ville, dans sa vie et dans sa création.
Venu à Paris avec un visa de tourisme pour échapper à des poursuites parce qu’il avait été surpris en train de fumer un joint, il erre dans la ville. Hébété et égaré, il appelle sa femme tous les jours à Séoul. Mais il parvient à nouer des liens avec une colocataire du foyer, dirigé par un Coréen. Elle aimerait bien le séduire, mais lui aimerait plutôt avoir un lien amoureux avec son amie, une étudiante. Il rencontre aussi par hasard, dans la rue, une ancienne amie qu’il a complètement oubliée - mais pas elle.
Comment acheter un préservatif quand on ne parle pas la langue ? Comment parler à un Coréen du Nord ? Comment résister à l’appel de la chair ?
Au-delà des anecdotes, le film dessine les contours d’un homme lâche qui réussit à vaincre les réticences de ses partenaires en promettant la même chose à chacune tout en les abandonnant quand sa situation devient délicate. Sommé de se décider, il rentre sagement au bercail.
Dans un rêve de dédoublement, sa personnalité est disséquée et jugée. En T-shirt, sandales et un sac en plastique à la main, notre homme arrive quand même à ce que nous nous intéressions à lui et à ses états d’âme. Un portrait désillusionné de l’artiste acculé à se faire entretenir ou à mourir ?
Avec charme et ironie, Hong Sang-soo nous laisse trouver nous-mêmes de quoi retourne le mâle asiatique. (Corée)

Restless de Amos Kollek (2008)

Un film en forme de diptyque : on suit tantôt la pauvre vie d’un bon à rien, qui vit dans le quartier juif de New York et celle d’un jeune Israélien qui fait son service militaire près de la bande de Gaza. En fait, un père et un fils qui ne se connaissent pas.

Moshe a déserté en Israël, oublié qu’il avait une femme et un fils à peine né. Ex-poète très prisé, il a tout perdu, est seul, sans argent, gagnant un peu en vendant des bijoux de pacotille. Il chante le soir dans un bistro, boit beaucoup, couche avec toutes sortes de femmes, dont une très vieille Américaine. C’est un agité qui se morfond sur son propre malheur. Parfois, il enchante son public en retrouvant ses poèmes d’autrefois.

À Gaza, Tzack, tireur d’élite se vante d’être un sniper. Voyant des enfants arabes jouer au ballon, sans tenir compte de la frontière, il vise, tire et blesse un enfant. Il est exclu de l’armée et va à New York, où il découvre le père qui l’avait abandonné.

Les personnages sont peu sympathiques mais remarquablement typés. Le titre lui-même, qui signifie "agité", "sans repos", est énigmatique.
Le film a été mal reçu, mais il nous a fortement impressionnés. (Israël-Canada)

Shine a Light de Martin Scorsese (2007)

Le Festival s’ouvre sur ce concert des Rolling Stones, capté au Beacon Theatre de New York, 2800 spectateurs, bien loin des habituelles arènes gigantesques de leurs tournées.
Dans un court prologue, Scorsese, en gros plan sur la scène du théâtre, cherche comment filmer les chanteurs et danseurs sans gêner le public ou, inversement, s’interposer entre le public du film.
De là, l’extraordinaire armée des vingt cameramen, disposés partout, ce qui rend extraordinairement vivant le montage du concert.
Parmi eux, le célèbre Albert Maysles qui avait filmé les Stones à Altamont (Gimme Shelter, 1970). Les quatre chanteurs sont assemblés, très serrés tous les quatre, Mick Jagger à droite, Charlie Watts à gauche. C’est Mick Jagger qui enchante et saisit le regard, avec sa maigreur de squelette, ses pas de danse, sa voix rauque, sa manière de se tortiller, son absence de sourire.
Scorsese intercale dans la série des chansons, célèbres ou nouvelles, des interviews actuelles mais aussi très anciennes, lorsque Jagger était encore coiffé comme un Beatle.
Le film a été acclamé par le public, la conférence de presse à leur hôtel, avant la projection, fut protégée par 200 policiers. (USA)

Standard Operating Procedure de Errol Morris (2008)

Un second documentaire en compétition : Errol Morris a construit son film, qui décrit la prison d’Abu Graib à Bagdad, à partir des photos prises par les gardiens et particulièrement celles d’une très jeune fille, Sabina, qui s’est fait photographier avec un prisonnier mort après la torture, ou, toute souriante, tenant en laisse un chien en train de mordre un homme torturé.
Morris a fait une longue recherche pour retrouver d’anciens prisonniers qui ont survécu, sans en retrouver beaucoup. Il a intervievé la jeune Sabina qui lui a prêté toutes ses photos. Tout le documentaire se réduit à cet interview.
Un film terrifiant, où éclate le sadisme de ces femmes toutes fières d’humilier des hommes nus. (USA)

Heike Hurst et Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°315-316, printemps 2008

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