Lars von Trier construit, avec Epidemic, une œuvre totalement neuve. Du jamais vu. En effet, si le récit se trouve éclaté, et s’articule d’une façon non-linéaire, l’image elle-même a une force visuelle étonnante. Il est question de l’élaboration d’un scénario sur la peste, et, parallèlement à cette création, la description d’une épidémie dont on ne sait exactement si elle est imaginaire (projection du film futur) ou réelle (ce qui se passe à l’extérieur de l’appartement où se sont enfermés les deux scénaristes).

Mais au-delà de ce jeu formel et de tous les effets qu’il ne manque pas d’entraîner, Epidemic se présente plus comme un film-manifeste, véritablement estampillé dès la première image, comme sur chaque page d’un livre : son titre, "Epidemic", s’inscrit en haut de l’écran à gauche.

En premier lieu, en ces périodes d’agitation fébrile autour de la chose filmée, Epidemic prône une certaine tranquillité d’esprit : la moitié du film est tournée en 16 mm. Sans techniciens, la caméra fonctionnant seule. Cinéma intimiste et surtout primitif, qui n’a pour but que de nous conduire jusqu’à l’ultime séquence finale, brutale, nue. En second lieu, cet aspect documentaire est associé à un récit aux limites de l’épouvante, filmé en 35 mm, avec une image extrêmement soignée, travail remarquable de Henning Bendtsen qui a collaboré avec Carl Dreyer pour Ordet (1955) et Gertrud (1964).

Avec Epidemic, Lars von Trier fait appel à un véritable hypnotiseur, qui, s’emparant de l’actrice - mais aussi du même coup de nous spectateurs -, obtient d’elle (et de nous) qu’elle entre au cœur du film en train de se faire mentalement, qu’elle "réagisse" à l’idée même d’une épidémie de peste. Il ne faut pas dévoiler plus, car le film offre là un effet sur le spectateur proprement hallucinatoire.

Christophe Pellet
Jeune Cinéma n°182, été 1987

Epidemic. Réal : Lars von Trier ; sc : L.v.T. & Niels Versel ; ph : Henning Bendtsen ; mont : L.v.T. & Thomas Krag ; mu : Peter Bach ; cost : Manon Rasmussen. Int : Lars von Trier, Niels Versel, Udo Kier, Michael Simpson, Ole Ernst (Danemark, 1987, 106 mn).